« Il n’y a plus de facteur investissement pour soutenir la croissance en 2024 », (Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit)

Dans quelle situation financière se trouvent les TPE et PME françaises à fin mai 2024 ? Le tour de France organisé par le médiateur national du crédit à la Banque de France, à la demande d'Olivia Grégoire, ministre en charge des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, dans le but de présenter les dispositifs de détection précoce et de soutien aux entreprises en difficulté, laisse à penser à un environnement incertain et une volonté certaine de l’Etat d’anticiper les défaillances à venir. C’est le message porté par Frédéric Visnovsky, présent dans les Alpes-Maritimes ce 27 mai à l’invitation de l’UPE 06 et de son président Pierre Ippolito, en amont de sa mission d’évangélisation qui débutera ce vendredi 31 mai à Rennes.
(Crédits : DR)

La Tribune - Après la crise Covid, l'inflation, la hausse des matières premières et celle des taux, comment se portent les entreprises françaises ?

FRÉDÉRIC VISNOVSKY- Les entreprises françaises ont été résilientes, à n'en pas douter. Elles ont résisté aux différentes crises. Nous le voyons à travers les chiffres d'affaires 2022 et 2023 (dont les comptes seront publiés fin juin, NDLR) qui se sont bien comportés. Même chose pour les marges : il y a évidemment des différences sectorielles, toutes n'ont pas eu la capacité de répercuter les augmentations des coûts sur leurs prix, mais en moyenne le taux de marge des entreprises est meilleur qu'en 2019. Et si l'endettement s'était accru pendant la période Covid, notamment avec les PGE, ce taux s'améliore et revient à des niveaux d'avant-crise. C'est la traduction que les entreprises ont su dégager des résultats et donc renforcer leur structure financière.

Il y a pourtant le sujet des défaillances d'entreprise. En 2023, avec près de 60.000 procédures ouvertes, leur nombre a augmenté de près de 36% par rapport à 2022...

C'est en effet un point d'attention. Nous sommes revenus à des niveaux d'avant-crise. Toutefois, c'est moins ce chiffre-là qui m'importe que le fait que ces défaillances augmentent dans le segment des PME. Traditionnellement, ce sont les TPE et les auto-entrepreneurs qui alimentent ce taux, et non les entreprises de taille plus importante. Cette évolution est notable et d'autant plus regrettable qu'elle a un effet sur l'emploi plus important. En 2023, les défaillances d'entreprise ont concerné quelque 250.000 emplois, c'est nettement supérieur aux chiffres d'avant-crise qui évoluaient en dessous des 200.000.

Quid du financement ?

Il n'y a pas de sujet particulier concernant le financement bancaire, les taux d'abstention restent bons, c'est plutôt au niveau du crédit inter-entreprise que nous notons une dérive. Il faut savoir que le crédit fournisseur, c'est 2,5 fois les crédits de trésorerie accordés par les banques, soit quelque 800 milliards d'euros. Celui-ci s'est détérioré en 2023 en termes de délais, passant de 11,7 jours à 12,6 jours. Or, 12 jours de retard de paiement, c'est 12 milliards de trésorerie dont ne disposent pas les petites entreprises. C'est un problème.

Comment vous attaquez-vous à ce problème ?

Il y a d'abord les mesures engagées, comme les contrôles de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, NDLR), et la volonté de la ministre d'augmenter le plafond des sanctions. A notre niveau, nous avons intégré les comportements de paiement dans nos cotations d'entreprise, nous conduisant à rétrograder 1.100 entreprises en 2023 contre 250 en 2022. Parallèlement, nous essayons de développer la pédagogie car ces retards sont souvent dus à un problème de process. Dans le cadre de l'observatoire des délais de paiement, nous allons donc produire dès cet automne un guide des bonnes pratiques pour améliorer cette situation.

Comment se présente 2024 ?

Nous nous attendons à une croissance faible et à un investissement en baisse. Selon nos prévisions publiées en mars, celui-ci devrait être négatif, à -0,6%, quand il était à 3,9% en 2022 et 2,7% en 2023. En 2024, le facteur investissement ne viendra pas soutenir la croissance. De même, l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises depuis le début de l'année au niveau national est à 0. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, elle est même négative. Le ralentissement annoncé se concrétise.

Êtes-vous inquiet ?

Je n'aime pas tellement ce mot inquiet, je lui préfère le terme de vigilant. Car c'est de vigilance dont nous avons besoin pour permettre aux entreprises de passer ce moment un peu compliqué en attendant que la situation s'améliore. D'où ce tour de France, qui vise à aller au-devant des entreprises pour recueillir les remontées terrain, et surtout à mieux faire connaître les dispositifs de détection précoce de soutien aux entreprises en difficulté. Ceux-ci appellent à anticiper, via le dialogue et des outils dédiés, accompagner, au travers des réseaux consulaires, syndicats pro, organisations socioprofessionnelles par exemples, et à prévenir. Les procédures préventives (mandats ad hoc, conciliations...) ont augmenté en 2023, avec 8.300 procédures engagées contre environ 6.000 avant la crise. Ce rythme se vérifie en début d'année 2024 mais il reste insuffisant par rapport au nombre de défaillances. Or, dans 70% des cas, ces procédures préventives aboutissent à des solutions, ce qui n'est pas le cas des procédures collectives. Celles-ci se terminent, pour 70% d'entre elles, par des liquidations directes parce que les entreprises s'y sont intéressées trop tard.

Y a-t-il des secteurs plus touchés que d'autres ?

Si l'on regarde la répartition des défaillances en 2023 comparée à celle de 2019, on constate la même répartition sectorielle. Cela étant, les situations évoluent dans le temps. En 2021, 2022, c'est le secteur de l'hôtellerie-restauration qui souffrait le plus. Depuis, il connaît une formidable croissance, quoique pénalisée par des problématiques de recrutement. A l'inverse, c'est toute la filière construction, compte tenu de la situation du logement, qui est aujourd'hui à la peine.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.