
Existe-t-il une ville en France qui retient autant l'attention et exacerbe les sentiments ? Marseille, passionnée et passionnante, est parfois très proche de l'image de carte postale qui lui colle à la peau comme elle en est éloignée. Pour résumer très vite, Marseille c'est, dans l'esprit populaire, Notre-Dame de la Garde, Pagnol, l'OM, le Vélodrome (Vel' pour les intimes), les calanques et les règlements de comptes. Mais ça, c'est la façade, un ersatz de ce que la Cité phocéenne est vraiment. Car Marseille est bien autre.
Avec ses 900.000 habitants, sa skyline reconnaissable même pour qui n'a jamais foulé le sol provençal, Marseille possède un « potentiel de fou ». L'expression n'est pas d'Emmanuel Macron mais elle pourrait parfaitement résumer le sentiment du président de la République, qui, un beau jour de septembre 2021, avec le Port en fond - autre carte postale - annonce sa volonté d'un « Marseille en Grand ». Un Marseille où tous les points noirs sont gommés, des transports aux écoles. Le tout assorti de l'enveloppe financière à la hauteur de l'ambition : 1,5 milliard d'euros. Pas moins.
Le « potentiel de fou » est d'ailleurs un sentiment partagé, par, pêle-mêle les habitants, les chefs d'entreprise et les investisseurs. Mais entre le sentiment et la réalité, il y a encore un gap que le Plan présidentiel entend combler. Ou contribuer à combler.
Santé et cinéma : les annonces qui confortent
Car évidemment Marseille ne part pas de zéro, loin de là. Le territoire n'a pas attendu une providence présidentielle - que l'on ne saurait bouder - pour se construire et se structurer. On en veut pour preuve l'annonce faite le 16 mai dernier qui consacre le Marseille Immunology Biocluster comme lauréat de l'appel à projet lancé dans le cadre de France 2030. Voilà le territoire ainsi doté de l'un des trois bioclusters français à vocation mondiale chargés de placer la France en tête de la compétition mondiale.
Une annonce - et les 97 millions d'euros qui vont avec - qui vient conforter une filière santé qui s'est structurée au fil des années, s'appuyant notamment sur Marseille Immunopole, devenu l'un des centres de R&D les plus importants en matière d'immunothérapies, piloté par le professeur Eric Vivier, nommé depuis début 2022, président du Paris Saclay Cancer Cluster. La cancérologie, les neurosciences, les biotechs constituent aussi les maillons solides d'un secteur - 170.000 salariés, 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires - qui s'est justement construit avec un handicap apparent - aucun industriel ou Big pharma n'est installé sur le territoire - le transformant en avantage comme l'estime Emilie Royère la directrice générale du pôle de compétitivité spécialisé en santé, Eurobiomed.
Une autre annonce est venue, ces derniers jours, conforter Marseille dans sa place de leader. Et elle concerne les industries culturelles et créatives, ce secteur que France 2030 encourage via le programme Grande Fabrique de l'image. Marseille - on connaît sa série éponyme en deux saisons, son « Plus belle la vie », son « Taxi » - doit s'inscrire dans une nouvelle dynamique car fortement concurrencée par sa voisine Occitanie. La perspective de plateaux de tournages plus nombreux - à Martigues pour 21.000 m2 et à Marseille au sein de l'ancienne usine Saint-Louis Sucre - vient combler ce qui manquait et offre ainsi la capacité de donner envie aux grosses productions d'opter pour le Sud. Alors qu'en parallèle quatre projets de formation sont également aidés par ce même France 2030, le but étant de former des talents sur le territoire et de constituer une véritable filière, de bout en bout. Les industries culturelles et créatives qui constituent d'ailleurs un élément du Plan Marseille en Grand avec la vocation de rendre accessibles des métiers qui font rêver à des jeunes issus notamment des quartiers dits prioritaires. Ou comment servir les intérêts urbi et orbi, d'attractivité et du territoire, en même temps.
L'industrie verte, levier d'attractivité
On ne sait si elle fait rêver, toujours est-il qu'elle est en train de placer Marseille comme vitrine nationale. L'industrie décarbonée additionne les projets qui se suivent et se complètent. L'implantation confirmée l'an dernier de GravitHy, cette usine productrice d'acier vert d'ici à 2028, a placé Fos-sur-Mer sous les projecteurs dans toute l'Europe. Regard renforcé avec l'arrivée de Carbon, première gigafactory solaire qui a opté pour l'enceinte du Grand Port Maritime. Deux projets majeurs qui ne viennent que conforter ce que les industriels du coin ont déjà impulsé dès 2014 avec Piicto, acronyme de Plateforme industrielle et d'innovation de Caban-Tonkin, plateforme d'expérimentation réunissant industriels, Grand Port, acteurs de la logistique, Région Sud, pôle de compétitivité Capenergies, métropole Aix-Marseille Provence et aujourd'hui porteuse de Syrius, programme de 9 millions d'euros chargé de mener études d'ingénierie et de faisabilité autour notamment de l'écologie industrielle et du captage de Co2.
Véritable élément d'attractivité - il est même le cœur du réacteur - le Grand Port Maritime de Marseille-Fos, outre son ouverture à l'innovation, bénéficie d'un foncier à faire pâlir d'envie n'importe quel autre territoire. Ce qui doit l'aider à repartir à la conquête de sa première place de port de France. Pas très loin, Euroméditerranée, l'opération d'intérêt national qui avait contribué il y a près de 30 ans à changer la physionomie de la ville, accélère sur sa phase II, ralentie par la crise sanitaire. De quoi accueillir les entreprises endogènes et exogènes. L'attractivité du territoire qui est d'ailleurs confirmée par l'agence d'attractivité et de développement économique, laquelle assure qu'avec 77 projets accompagnés, 2022 est l'une des trois meilleures années jamais connues. Il faut dire que les grands groupes, ETI et grosses PME - Airbus Helicopters, NGE, CMA CGM, TotalEnergies, Onet, Orange, Voyage Privé, Free Pro, Compagnie Fruitière... - savent jouer les locomotives et nourrir le tissu local. La désignation du territoire comme capitale européenne de l'innovation pour 2023 constitue par ailleurs une cerise sur le gâteau avec valeur de validation des discours portés par les acteurs économiques.
De cet alignement quasi parfait des planètes, Marseille saura-t-elle en faire un levier pour effectuer le saut quantique qu'elle mérite et que beaucoup appellent de leurs vœux ? L'opportunité est belle, le Plan Marseille en Grand pousse dans ce sens. Un tel Plan et les financements qui l'accompagnent ne se représenteront pas avant longtemps.
A l'alignement des planètes il faut l'alignement des volontés. Sans chicaya, juste avec (bon) sens.
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