Grandes écoles, rap et supporteurisme  : la méthode de Protis Club pour réunifier la jeunesse de Marseille

Né d'un collectif de supporters marseillais, le Protis Club a une ambition et pas des moindres : panser la fracture sociale et territoriale qui sépare les jeunes du Nord de la ville de ceux du Sud. Pour cela, il tente de fédérer grâce à deux leviers appréciés de part et d'autre de la Cité phocéenne que sont le rap et l'OM. Ce, tout en accompagnant ses membres vers un but commun : celui d'intégrer de grandes écoles parisiennes.
(Crédits : DR)

Jules Sitruk est marseillais. Il est aussi étudiant à HEC et membre des South Winners, un club de supporters dont le siège se situe dans le quartier de la Belle-de-mai, au cœur du troisième arrondissement de Marseille. Un quartier plutôt central, niché entre le centre-ville et le territoire Nord de la ville dont la situation sociale lui est plutôt similaire. Un poste d'observation intéressant pour qui veut comprendre les cassures économiques et sociales qui sillonnent la Cité phocéenne.

« Il y a une fracture entre le Nord et le Sud », constate en effet Jules Sitruk. D'un côté, un territoire pauvre où coexistent quelques poches de richesse. De l'autre, des quartiers plus riches que la moyenne nationale avec, comme en miroir, la présence de poches de pauvreté.

De part et d'autre, des populations qui, faute d'envie, faute d'occasions, ou faute d'un réseau de transport fluide sur l'ensemble de la (vaste) ville, n'ont que peu d'occasions de se rencontrer.

« Les jeunes du Nord et du Sud ne se parlent pas. Il y a des barrières psychologiques et nous avons eu envie de lutter contre ça ».

Comment ? En identifiant ce qu'il reste de points communs entre ces deux morceaux de ville. « Nous nous sommes dit que le rap et le supporteurisme sont plus forts que les préjugés ».

Micro, virage et grandes écoles

C'est ainsi à l'occasion des 35 ans de leur club de supporters, en mai 2022, que Jules Sitruk et Rachid Zeroual, figure historique des South Winners, s'associent au label de musique 13e art, label qui produit notamment le rappeur Naps.

Ensemble, ils fondent le Protis Club et recrutent ses membres en s'appuyant sur le réseau de chacun. « On a recruté pas mal de jeunes qui passent une bonne partie de leur temps libre dans le local des South Winners ». Dans le Nord, c'est le label 13e art qui fait connaître le projet. « Nous avons aussi pu nous appuyer sur le Cercle des nageurs et sur le lycée de Provence », un établissement privé du 8e arrondissement. « Au total, nous avons réuni 20 jeunes de 15 à 18 ans », dont 60 % de garçons et 40 % de filles.

Mais si rap et amour de l'Olympique de Marseille permettent d'attirer, il en faut plus pour fédérer réellement les membres du club.

Ceux-ci ont besoin d'avoir une ambition commune. Un objectif à la fois collectif et personnel. En l'occurrence, celui d'accéder aux grandes écoles parisiennes au sein desquelles la jeunesse marseillaise est peu représentée. « Pour rassembler des jeunes d'horizons aussi variés, il faut les pousser ensemble vers le haut. Pour le moment, nous ciblons surtout HEC qui est un gage de crédibilité et ouvre un large réseau». D'autant plus que Jules Sitruk y est étudiant, ce qui facilite les relations. Et en effet, HEC entre rapidement dans le match. De sorte qu'à peine deux mois après la création du Protis Club, la moitié de l'équipe s'envole pour le summer camp de préparation à l'éloquence qu'organise l'école.

« Cela a été une vraie réussite. Nous sommes partis avec des jeunes de tout Marseille qui se sont très bien entendus. Certains sont devenus meilleurs collègues et ne se quittent plus ». Autre motif de fierté : « un de nos jeunes a fini deuxième au concours d'éloquence ».

Un aimant à soutiens

Très vite, le réseau aimante de nombreux soutiens. « Grâce à un ami commun, nous avons rencontré le général Facon », gouverneur militaire de Marseille et supporter parmi les South Winners. « Le projet lui a tout de suite plu ». Si bien qu'il met régulièrement sa résidence, le Chateau Saint-Victor, à disposition du Protis Club. «  Toutes les deux ou trois semaines, les membres y passent des oraux blancs. On y organise aussi des événements et des rencontres». Rencontres avec des responsables d'HEC, ou encore avec des figures de l'économie locale ou nationale.

Des figures qui peuvent, si elles le souhaitent, rejoindre le cercle des mentors qui accompagnent les jeunes. Ou tout du moins entretenir des relations suivies avec eux. « Lors d'un séjour en octobre, nous avons par exemple rencontré Natacha Hochet-Raab qui est directrice générale de Fred Paris. Depuis, elle entretient de magnifiques liens avec les jeunes. Elles les a tous ajoutés sur les réseaux sociaux et répond à toutes leurs questions ».

Des personnalités inspirantes qui fédèrent. Tout comme les nombreux moments conviviaux qui font vivre le club. Restaurants, préparation des virages du Stade Vélodrome avant les matchs auxquels les jeunes assistent tous ensemble ... « Avec 13e art, on propose aussi parfois des animations en studio, on travaille sur l'écriture de sons ... »

En 2023, un jeu plus offensif

Au cours d'une première année qui lui a permis de prendre ses appuis, 2023 s'annonce plus offensive. « Nous espérons conclure de beaux partenariats avec de grandes entreprises locales afin que celles-ci puissent mettre à disposition des salariés, nous accueillir, ou nous soutenir financièrement ».

Car pour l'heure, les actions sont financées par les seuls fondateurs du club. « Nous développons aussi des relations avec la Ville, la Région et la Métropole qui nous soutiennent ». Des aides publiques pourraient suivre.

Le club est par ailleurs soutenu par la Direction des Armées et par la DSDEN 13 (Direction des Services Départementaux de l'Éducation Nationale des Bouches-du-Rhône). Et a bien l'intention de prendre place au sein des écosystèmes locaux.

« Le plan Marseille en Grand m'intéresse car il vise à créer du lien entre les jeunes et à les pousser vers le haut. Ce serait bien d'en faire partie », suggère Jules Sitruk.

Peut-être profitera-t-il de sa visite à Paris pour faire un appel à Mathieu Maucort, délégué interministériel à la jeunesse qui l'accueillera à Matignon lors du prochain séjour du club dans la capitale dès le lundi 13 février. Un voyage au cours duquel ils rencontreront également des représentants de Forbes, de Louis Vuitton Vendôme, ou encore - amour de l'OM oblige - Noëlle Bellone, ex-directrice de cabinet de Bernard Tapie. De quoi consolider un peu plus l'effectif avant, peut-être, d'envisager d'autres recrutements au fil du temps, au gré des rencontres.

D'ici là, regrettant que les principales classes préparatoires aux grandes écoles se trouvent à Paris, les fondateurs du club réfléchissent à en créer une sous le soleil marseillais. Une classe qui représenterait la jeunesse de la ville dans toute sa diversité. Comme un tacle au déterminisme social.

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