Projets alimentaires territoriaux : la difficile réalité du terrain 2/2

A la croisée des enjeux de souveraineté alimentaire, de lutte contre la précarité, de transition agro-écologique, de santé ou encore d’aménagement du territoire, la mise en place de projets alimentaires territoriaux (PAT) s’accélère en Provence-Alpes-Côte d’Azur en général, dans le département des Alpes-Maritimes en particulier, où une dizaine de collectivités, si l’on excepte la pionnière Mouans-Sartoux, a vu leur PAT reconnu et labellisé de niveau 1 en 2021 par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Parmi elles, la Communauté d’agglomération du Pays de Grasse et la Métropole Nice Côte d’Azur. Si l’objectif d’atteindre l’autonomie alimentaire relève clairement de l’utopie, elles visent toutefois à faire plus - un peu - et mieux - surtout - en tentant de lever les contraintes, notamment celles liées au foncier et à l’installation de nouveaux agriculteurs.
(Crédits : DR)

Il est des chiffres qui parlent d'eux-mêmes. Le taux moyen d'autonomie alimentaire du département des Alpes-Maritimes, par exemple, lequel affiche un très petit... 1%. Sur le territoire de la métropole Nice Côte d'Azur, celui-ci se présente en jours et se limite à... 3. Le fruit d'un siècle d'urbanisation galopante, difficilement réversible certes, toutefois corrigeable. Même si ce n'est qu'à la marge. "L'idée, explique Gabriel Bouillon, chargé de mission agriculture à la Communauté d'agglomération du Pays de Grasse (CAPG), ce n'est pas de produire beaucoup plus, c'est impossible, mais de produire mieux pour aller au-delà de ces 1%". A la métropole Nice Côte d'Azur (NCA), il s'agit de repousser de 5 à 6 jours ce nombre de jours couperet.

PAT en émergence

C'est l'un des principaux objectifs des PAT que ces deux collectivités, comme une petite dizaine d'autres dans les Alpes-Maritimes, ont posé sur l'établi. L'une comme l'autre a vu son projet labellisé niveau 1 en 2021 par la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf). Elles sont donc éligibles au plan France Relance, volet PAT, doté d'une enveloppe de 80 millions d'euros. Encore en émergence, ces PAT sont dans une phase de co-construction qui consiste à élaborer un plan d'actions sur la base d'un diagnostic des forces et faiblesses en présence qu'il conviendra aux élus de la CAPG et de NCA d'approuver, budget à l'appui, en 2023 pour la première, en 2024 pour la seconde.

Une approche régionale

"Il faut savoir que le PAT est une chose tentaculaire, précise Gabriel Bouillon, qui couvre beaucoup de verticaux parmi lesquels l'aménagement du territoire tient bonne place". Et ce dans une volonté de re-territorialisation de systèmes alimentaires et durables dans un contexte azuréen où le foncier, rare et cher du fait de la topographie du lieu, s'avère par conséquent extrêmement contraint. Si l'arme du plan local d'urbanisme (PLU) a été enclenchée, sanctuarisant 4.500 hectares de terres agricoles sur le territoire du pays grassois, 5.900 hectares sur celui de la métropole niçoise, le compte n'y est pas. En témoigne la taille moyenne des exploitations azuréennes, 1,5 hectare, quand dans le reste de la France elle frôle les 300. "Au-delà de la plaine du Var et de la Siagne, le territoire et ses espaces en restanques ne se prêtent plus du tout à l'agriculture moderne", juge le chargé de mission. D'où le choix de Nice Côte d'Azur de jouer régional. "La métropole seule ne peut pas nourrir ses habitants mais en maintenant des passerelles solides et fiables avec les autres départements plus agricoles de la région, sans oublier l'Italie, nous sécurisons la production et tendons vers une quasi-autonomie régionalement", relève Richard Chemla, vice-président de la métropole, en charge de la transition écologique. Cette approche régionale vient compléter un travail local qui cherche à libérer les terres agricoles fléchées et à organiser la production.

Rétention des terres

"A cet égard, nous connaissons deux problématiques différentes, reprend le représentant grassois. Dans le haut pays, il s'agit de mettre en cohérence une agriculture bio orientée vers l'alimentation et donc de renforcer d'une part le maraîchage et l'arboriculture, de l'autre de soutenir les éleveurs, nombreux, pour faire en sorte que les productions fromagère et ovine, laquelle présente de nombreuses vertus écologiques notamment en matière de consommation d'eau, entrent dans la restauration collective". La seconde problématique tient au foncier agricole en lui-même, bien identifié, mais qui fait l'objet de rétention par les propriétaires. Si le prix du loyer agricole, fixé par la préfecture, a été réévalué à la hausse, il convient d'insister, selon Gabriel Bouillon, sur le discours à tenir afin de lutter contre les préjugés, notamment concernant les baux ruraux, et motiver les propriétaires à les mettre à disposition des agriculteurs.

Incubation agricole

Des agriculteurs qui n'ont plus grand chose en commun avec ceux du siècle dernier. "Ce sont en général des personnes en reconversion, âgées de plus de 40 ans, pour moitié des femmes, et qui ne sont pas pour la plupart issues du monde agricole", constate Gabriel Bouillon. D'où la mise en place d'espaces tests agricoles qui, via des contrats d'appui au projet d'entreprise, permettent aux porteurs de projets de tester leur activité sur une période pouvant aller jusqu'à 3 ans. Déjà effectifs dans le pays grassois, ces dispositifs d'incubation sont en cours de création sur deux propriétés agricoles récemment acquises par la métropole, à la Gaude et à la Roquette sur Var. "Il s'agit aussi de faciliter les installations", reprend Richard Chemla, avec l'objectif d'enrayer la chute des vocations, notamment sur le territoire métropolitain qui a perdu entre 2012 et 2020, 30% de chefs d'exploitation. A ce sujet, une série d'actions sont sur la table, de la création d'une école dédiée à Nice à la multiplication de jardins nourriciers en ville. "Une vingtaine devrait voir le jour d'ici à la fin de la mandature", précise l'élu, qui évoque également "la construction d'un label "Produits de chez nous" afin de donner envie à nos concitoyens de manger local".

Projet au long cours

Car, finalement, la réussite d'un PAT ne peut être effective sans l'appropriation de la population, ce qui explique la place forte qu'occupe le volet sensibilisation dans les projets alimentaires territoriaux. Une place d'autant plus importante que la conception et mise en œuvre des PAT, à l'image des grandes infrastructures structurantes, s'étalent sur de nombreuses années. Et ce, "dans un contexte mouvant car avec le réchauffement climatique, nous ne savons pas quelle agriculture nous pourrons faire dans 20 ans. Nous avons besoin de nous faire aider", avance Gabriel Bouillon. Aussi, la CPAG, à l'échelle du pôle métropolitain de l'ouest du département Cap Azur, réunissant outre le pays grassois, les territoires de Sophia Antipolis, de Cannes Lérins, des Alpes d'Azur et le conseil départemental, a-t-elle candidaté, décembre dernier, dans le cadre du Programme d'Investissements d'Avenir (PIA) 4 à un appel à manifestation d'intérêt "Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires" opéré par la Caisse des dépôts. Réponse attendue en avril.

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