A Marseille, l'agriculture est urbaine... et éminemment sociale

Depuis quelques années, l'agriculture urbaine connaît à Marseille (comme en d'autres endroits) un regain d'intérêt. Et si la volonté d'offrir une alimentation de qualité en circuit court est au cœur des motivations des porteurs de projets, ceux-ci sont aussi animés par l'envie de sensibiliser le plus grand nombre. Voire d'avoir une dimension sociale.
(Crédits : Benjamin Ignace)

Après avoir descendu une pente qui longe une épicerie solidaire du Nord de Marseille, on entre dans une large pièce où se trouvent trois chambres froides faites de bâches. Dessous, l'air est automnal. « Il fait environ 17°C et l'humidité est contrôlée », explique Nicolas d'Azémar, fondateur et unique salarié de l'association Les Champignons de Marseille. « Dans ces conditions, les mycéliums [la partie végétative du champignon, ndlr] cherchent à se reproduire en faisant pousser des champignons ». Des ballots de paille entourés de plastique noir, on voit en effet poindre quelques grappes d'où émergent de jeunes pousses. « En 24 heures, leur taille sera multipliée par 100 », assure Nicolas d'Azémar.

Né en 2017, le projet des Champignons de Marseille prend d'abord racine en centre-ville avant de se poser quelques années dans le sous-sol d'un lycée horticole du sud de la ville. Obligé de quitter ce dernier à cause d'un changement de l'équipe de direction, il vient d'emménager sous une épicerie solidaire du Nord de la ville. A quelques pas du marché aux puces où s'écoulent, à même le sol, des produits récupérés ci et là.

Depuis ce nouveau local, il tient à poursuivre et amplifier des actions solidaires et de sensibilisation entamées il y a quelques années déjà. Ateliers pratiques avec écoliers et collégiens. Offre de cinq à six kilogrammes de champignons à l'épicerie solidaire qui l'héberge. C'est sa façon de défendre une alimentation durable. Et accessible à tous.

L'accessibilité est en effet un enjeu primordial pour les acteurs locaux de l'agriculture urbaine. « Alors que l'agriculture urbaine a tendance, dans d'autres villes, à être considérée comme un peu bobo, ici, elle est très tournée vers le social », remarque Louis Roland, directeur opérationnel de la Cité de l'agriculture. Qu'il s'agisse d'offrir des lieux de rencontre et de répit aux habitants de quartiers défavorisés. Ou des produits de qualité à bas prix.

Reconnecter les urbains à la nature

Dans le 13e arrondissement, perché au dessus d'une constellation de tours et de petits pavillons fleuris, le Paysan urbain incarne pleinement cette vocation sociale. A l'origine du projet : un concept né à Paris, qui a essaimé ici avant de tracer son propre chemin, en toute indépendance.

Au départ, il s'agit d'un chantier d'insertion autour d'une activité : la culture de micro-pousses, ces concentrés de goûts et de vitamines dont raffolent les chefs cuisiniers. Une activité qui mobilise actuellement une quinzaine de salariés, de la culture à la livraison.

Mais avec le temps, le Paysan urbain marseillais se dote d'une seconde mission : la transmission. « L'idée est que si l'on veut que la ville soit plus verte, il faut que les riverains et les responsables de zones extérieures apprennent à gérer ces espaces de manière écologiste », explique Benjamin Denjean, l'un des quatre membres fondateurs. Alors le Paysan urbain les sensibilise. Les forme. Construit avec eux des jardins partagés. Et ce, en s'appuyant bien sûr sur l'énergie de salariés en insertion.

« Ceux sont eux qui assurent cette transmission. Nous les formons aux métiers de formateurs nature et intervenons avec eux sur quinze à vingt sites à Marseille ». Notamment dans le cadre de cours de sciences de la vie où, en lieu et place de leur professeur, des élèves se voient dispenser des leçons pratiques d'écologie par des salariés en insertion. « On entend souvent dire que l'écologie doit intégrer les programmes scolaires ».

Et au-delà de ces leçons de nature, l'association a mis en place il y a un an une École du vivant consistant à installer des jardins pédagogiques dans tous les établissements scolaires de Malpassé, un quartier du nord de la ville. Un millier d'enfants y apprennent à jardiner. Et le projet bénéficie aussi au grand public puisque le jardin est ouvert à tous sur plusieurs créneaux en dehors du temps scolaire.

La nécessaire diversification des activités

Ce volet social est un impératif pour Benjamin Denjean et Cécile Trousseau-Petche, elle aussi fondatrice de l'association. « En ville, les surfaces sont plus petites et souvent plus chères. Pour viabiliser une activité agricole sur ces surfaces, il faut y ajouter d'autres services, du lien humain ».

De l'insertion comme ici. De l'événementiel comme le propose le Talus, une ferme maraîchère qui multiplie les activités pour diversifier ses ressources et faire profiter un maximum de personnes de son coin de verdure, épinglé entre une autoroute et une voie ferrée.

Car il ne s'agit pas de faire de l'agriculture pour de l'agriculture. Mais de rendre tout un panel de services aux habitants.

« Il y a bien sûr une dimension écologique, énumère Louis Roland, puisque ces espaces permettent de créer des îlots de fraîcheur, de préserver la biodiversité et d'améliorer la qualité de l'air. Une dimension paysagère à travers l'amélioration du cadre de vie. La création de lien social autour de l'alimentation qui est un sujet de discussion universel. Mais aussi une vocation économique et sociale à travers la création d'emplois et l'accès à une alimentation de qualité pour tous ».

Des vertus dont les collectivités locales sont de plus en plus conscientes. « Lorsque nous avons créé la Cité de l'agriculture, elles nous voyaient comme de petits rigolos. Mais notre travail et notre professionnalisme ont fini par attirer leur attention », remarque Louis Roland. Pour Hugo Meunier, patron de la startup Merci Raymond ! qui porte, entre autres, des projets d'agriculture urbaine dans plusieurs villes de France dont Marseille, ce changement est global. Lié à l'ère du temps. A une demande croissante des citoyens. A l'infusion des enjeux environnementaux dans tous les partis politiques.

Des collectivités locales mobilisées

La Métropole Aix-Marseille Provence a ainsi engagé dès 2019 - soit un an après sa création - un plan de soutien de 2,3 millions d'euros à destination de l'agriculture urbaine.

Une action qui s'inscrit dans une « prise de conscience » salvatrice pense Christian Burle, vice-président métropolitain en charge de l'agriculture. « Ce n'est pas normal d'avoir laissé choir toute cette agriculture de proximité ». Parmi les freins les plus importants qu'il identifie : le manque de terres sur lesquelles peuvent s'établir les exploitants. Et, rareté oblige, « les prix du foncier sont souvent disproportionnés par rapport à l'économie que génère l'agriculture ». C'est pour cela que la Métropole s'engage à acheter des terres telles que celle qui a été mise à disposition de Jean Walter en échange d'un loyer modéré, 550 euros par an. Tout au Nord de la ville, un imposant projet d'implantations agricoles ( sur une perspective de 80 hectares) est également mené en partenariat avec la Mairie de Marseille.

Car cette dernière, depuis l'élection de Benoît Payan en 2020, est très sensible à ce sujet. « A travers l'agriculture urbaine, l'idée du maire est de rendre un service de proximité aux habitants », résume Aïcha Sif, son adjointe à l'agriculture urbaine et à l'alimentation. Parmi ses grands défis : la préservation d'espaces de production agricoles, après une longue tradition de minéralisation. Objectif affiché : sanctuariser 20 hectares sur les six années de mandat. Pour se muer en ville verte, pour rendre plus saine l'alimentation des couches les plus pauvres de la ville. Mais aussi « pour créer des vocations et faire rêver nos mioches », sourit l'élue. Alors que la ville souffre d'un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale (10,2 %), « il faut qu'ils puissent trouver des débouchés, pense-t-elle. Dans d'autres pays, au Maghreb par exemple, tous les jeunes savent comment pousse une pomme de terre. Ici, ils sont déconnectés de tout cela. A Marseille, on estime que 300 hectares de terres pourraient être exploités pour de l'agriculture urbaine. Cela peut paraître peu, mais suffirait à nous réconcilier à l'agriculture, à la terre ».

Remettre l'alimentation au cœur des préoccupations

Pour passer du rêve à la réalité, reste à soutenir financièrement les agriculteurs de la ville dont les modèles économiques demeurent fragiles. Navigant d'un lieu à l'autre en fonction des aléas, Nicolas d'Azémar, le champiculteur marseillais, a du mal à se projeter. En échange des missions d'intérêt collectif que portent les structures comme la sienne, il estime que les collectivités auraient tout intérêt à s'investir plus encore. Au moins le temps que les projets parviennent à se solidifier et à voler de leurs propres ailes.

« Il faut que les agriculteurs parviennent à gagner leur vie. Mais je suis optimiste », assure Christian Burle. « D'ici dix ans, je pense que l'agriculture urbaine sera florissante car est elle nécessaire ».

La Marseille de demain, justement, Benjamin Denjean, du Paysan Urbain, l'imagine plus verte. Mais surtout, davantage aux mains de ses habitants. « J'aimerais que tous les espaces extérieurs soient à disposition des riverains ».

Quitte à rêver d'une ville à nouveau autosuffisante dans sa consommation de fruits et légumes ? « Je ne pense pas que cela soit souhaitable. Car cela signifierait que tous les espaces verts seraient cultivés, et donc pas à la libre disposition des Marseillais ». Plutôt que l'autosuffisance urbaine, l'enjeu est pour lui de « reconstruire le lien entre les habitants de la ville et ceux qui les nourrissent, pour la plupart en périphérie et dans les zones rurale». De « reconnecter les flux » en faveur d'un approvisionnement local et en circuit court. Pour mettre l'alimentation et l'écologie au cœur de la société de demain.

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