Dans le Var, la filière chêne-liège cherche un nouveau souffle

Alors que la production et la transformation de chêne-liège a longtemps alimenté l'économie varoise, la filière s'est épuisée sous la pression de la concurrence ibérique dans les années 1950. Mais le département demeure celui comptant la plus grande surface de forêts de chênes-liège en France, et entend bien redonner de la vitalité à cette économie en multipliant les usages, que ce soit dans le bâtiment, dans l'artisanat ou même dans l'art.
(Crédits : DR)

Avec ses 58.000 mètres carrés de suberaies - nom donné aux forêts de chênes-liège - le Var est le premier département français le mieux doté pour la production de liège.

Connu pour la fabrication de bouchons de bouteilles de vin, le liège est un matériau obtenu à partir de l'écorce du chêne-liège. Il faut en fait déshabiller l'arbre de sa croûte pour l'obtenir.

Apparu il y a plus de 60 millions d'années sur le pourtour méditerranéen, le chêne-liège est exploité au moins dès l'époque romaine. En témoignent les fouilles menées dans les années 1980 en amont de la construction de centre commercial Mayol, à Toulon, et qui ont révélé l'usage de liège pour la fabrication des quais de l'antique port de Toulon.

« Au départ, dans le Var, on ne s'en servait pas tellement pour le bouchage de bouteilles, ni même de jarres », explique Nicolas Plazanet, chargé de mission au sein de Forêt modèle de Provence, structure créée en 2013 à l'initiative de la Région Sud pour favoriser le développement durable des espaces forestiers provençaux. « Jusqu'au XVIIIème siècle, on l'exploitant beaucoup pour les semelles de chaussures. Ce n'est qu'au XIXème siècle qu'a démarré l'aventure des bouchonneries du Var, avec l'émergence d'une économie très structurante pour les communes rurales».

De sorte qu'en 1920, 10.000 tonnes de liège sont levées chaque année avant d'être transformées par 150 bouchonneries. Bouchonneries au sein desquelles travaillent alors entre 2.000 et 2.500 personnes.

Liège Junqué, dernière entreprise du Sud à valoriser du liège varois

Mais dans les années 1950, la concurrence internationale, espagnole et portugaise en particulier, fait souffler un vent de faillites sur ces entreprises. Une seule tiendra - non sans mal - le choc : Liège Junqué, encore debout, et qui fait désormais figure de dernière entreprise transformant localement du liège varois.

Située à Flassans-sur-Issole, celle-ci achète du liège local qu'elle transforme en bouchons décoratifs, pour les potiers ou pour les terrariums notamment. « Le bouchon de bouteille de vin, c'est trop compliqué, il nous faudrait un laboratoire pour cela », explique Maryse Junqué qui gère l'entreprise avec son mari, en plus d'une exploitation viticole. « C'est un travail compliqué, avec beaucoup de manipulations», décrit-elle, « il faut bien préparer le liège, le trier, le passer dans un bain d'eau bouillante pendant une heure et demie, puis le trier à nouveau avant de former des carrés que l'on tourne pour faire les bouchons ».

Créée dans les années 1930, la petite entreprise a connu de belles années. « Mon mari a eu jusqu'à une trentaine de salariés mais il a été obligé de fermer à cause de la concurrence. Ce n'était pas possible de s'aligner sur les prix ». Néanmoins, la demande demeure. Et l'entreprise rouvre pour la satisfaire même s'il ne s'agit aujourd'hui pour ses patrons que d'une activité secondaire.

Liège Jungué fabrique également des granulés de liège pour l'isolation des bâtiments. « On en vend à des entreprises de maçonnerie, des architectes. Ils savent ce que cela vaut. Le liège est un des meilleurs isolants contre le froid et surtout contre le chaud. Il a fait ses preuves au long des décennies ». Et Nicolas Plazanet d'ajouter : « Le liège est en passe d'être normé comme isolant. C'est une démarche coordonnée par les communes forestières du Var, qui prendra du temps, mais en laquelle on croit beaucoup ». D'autant que contrairement à la laine de verre dont l'espérance de vie oscille entre dix et quinze ans, le liège « dure pour l'éternité ou presque ».

Volonté de relance partagée

Avec ses nombreuses vertus, le liège a été l'objet de quelques tentatives de plans de relance au moment des années 1980. Las. Mais désormais, observe Nicolas Plazanet, « il y a une volonté des institutions et des acteurs du territoire pour relancer cette économie ». Notamment de la Région Sud et du Département du Var, impliqués sur ce sujet.

Parce que la filière du chêne-liège est susceptible de créer de l'emploi, de la richesse. Parce qu'elle est favorable à la biodiversité : « le chêne-liège est une essence héliophile, qui permet à toute une flore d'exister. Il a également des propriétés qui le rendent résistant aux incendies ». Mais l'intérêt à l'égard de cet arbre repose également sur la volonté de valoriser un savoir-faire ancestral, typique du territoire. « Le chêne-liège suscite un attrait touristique en permettant la fabrication de produits identitaires, du patrimoine. Si bien qu'il a pas mal de relais dans certains musées ». A l'image du Musée des arts et traditions populaires de Moyenne Provence de Draguignan, avec qui coopère par exemple Forêt modèle de Provence.

Pour relancer la filière, pas question de s'engager façon Don Quichotte dans un combat perdu d'avance contre les géants mondiaux du secteur, notamment dans le domaine des bouchons pour bouteilles de vin ; bien qu'une entreprise de Midi-Pyrénées, numéro 2 français dans la fabrication de tels bouchons, compte le Var parmi ses sources d'approvisionnements et propose même un bouchon 100 % varois.

« Nous visons une diversification des usages », explique Nicolas Plazanet. Diversification qui s'appuie sur la créativité humaine, au travers, par exemple, de concours d'art et de design sur le thème du liège. « De nombreuses structures comme l'École Boulle à Paris, ou la Villa Noailles à Hyères se sont impliquées dans ce projet, de même que des artistes internationaux. Quand on se tourne vers l'artisanat et le design, tout devient possible ». De nouveaux usages du liège mais aussi du bois de chêne-liège, peu connu, difficile à travailler, mais qui a la particularité de se parer de couleurs très hétérogènes, ce qui confère des vertus esthétiques aux meubles qu'il permet de construire.

L'enjeu d'un approvisionnement de qualité

Reste à assurer un approvisionnement de liège de qualité, ce qui n'est pas aisé. « Ce qui freine la relance, c'est que la majorité du liège est de mauvaise qualité. Et c'est un cercle vicieux car moins on le récolte, plus sa qualité décroît ... Stimuler de nouveaux usages permet de ne pas abandonner les chênes et d'améliorer leur qualité ». Forêt Modèle de Provence s'implique également dans la plantation de nouveaux arbres pour assurer un minimum de brassage génétique.

En parallèle, l'association poursuit sa programmation événementielle autour du chêne-liège. Une programmation riche et mobilisatrice. « En octobre, notre week-end du chêne-liège a mobilisé 1300 personnes malgré la pluie ». Au programme également : la prochaine édition du concours d'art et design dont la sélection des participants se poursuit jusque fin janvier, avec cette année la valorisation des déchets comme fil rouge.

De son côté, l'entreprise Junqué continue de répondre à la demande, forte de l'avis de Maryse Junqué. « On n'a pas de souci pour la vente. L'entreprise se développe de plus en plus ». Et pour les épauler, les deux entrepreneurs peuvent désormais s'appuyer sur le soutien de leur petit fils, ce dernier s'attelant à mieux valoriser les produits grâce à de la publicité et le développement du réseau. Pour le chêne-liège varois ait encore de beaux jours devant lui.

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Commentaire 1
à écrit le 23/02/2024 à 10:07
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Il y a une grosse coquille dans l'article : il y a 58 000 ha de suberaies dans le Var, et non pas 58 000 m² !

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