De Trace à Trace Academia : « L’éducation est un produit culturel » dit Olivier Laouchez

Il a fondé Trace en 2003 faisant de la marque une plateforme multimédia qui promeut autant la culture hip-hop et afro-centrique que la réussite des jeunes. Et c’est précisément ce qui a fait naître l’idée de créer une plateforme de formation à certains métiers, gratuite, un point central de son business-modèle, soutenu financièrement par les grandes entreprises françaises. Une verticale originale qui, après l’Afrique, s’installe en France, à Marseille, avant de poursuivre un déploiement vers, entre autres le Brésil. Une plateforme qui veut se distinguer dans le fond et la forme, à l’heure des nouveaux métiers et du regard désormais davantage bienveillant envers les soft skills.
(Crédits : Jimmy Marone)

Comment est né l'idée de Trace Academia ?

On ne se réveille pas le matin avec un éclair de génie. Trace Academia est née d'une maturation, de plusieurs années d'analyses, d'échanges, de compréhension... d'une réalité, notamment sur le continent africain. Il faut savoir que sur ce continent, 80% des jeunes ne vont pas faire d'études supérieures. Et dans certains pays, c'est même 10%. Beaucoup de ces jeunes vont aller travailler dans des jobs informels et vont se former sur le tas. Très peu d'entre eux vont aller travailler dans des entreprises, la plupart deviennent quasiment des auto-entrepreneurs. Avec nos médias de divertissement, nos médias musicaux, nous avons un engagement de proximité très fort avec cette jeunesse africaine. Nous avons créé, il y a une dizaine d'années, la Fondation Trace pour la réussite des jeunes, en disant qu'on allait développer des solutions. Puis nous avons été submergés de demandes - d'argent, de jobs, de promo... Nous avons alors réfléchi à ce que nous pouvions créer comme mécanique pour répondre à toutes ces sollicitations. Nous avons d'abord réfléchi à montrer des écoles. Mais cela prend du temps, il faut recruter des profs... c'est limité en termes de taille et puis certains font déjà ça très bien. A un moment donné nous avons interrogé 1.200 personnes à Soweto, en entretien face-à-face, pour être certains de ne pas nous tromper de route. Nous voulions être certains d'être légitimes pour aller sur ce territoire éducatif. N'était-ce pas un stretching de marque trop large ? Et puis, les résultats de toutes ces études nous a conduit à la création d'une plateforme digitale et un écosystème qui soient des briques qui permettent aux jeunes de se connaître, connaître des métiers, se former, avoir suffisamment d'acquis pour pouvoir prétendre à aller travailler dans des entreprises.

Vous apportez votre connaissance de l'univers des médias, de la jeunesse. Mais c'est un métier nouveau...

Nous nous sommes rendus compte que les jeunes ne connaissent pas les métiers. Ils connaissent ceux de leur famille, de leurs amis... Il existe un travail de vulgarisation énorme à mener. L'un des enjeux est de donner envie, que les jeunes ne s'ennuient pas. Une autre des briques à laquelle il a fallu réfléchir c'est comment donne-t-on accès à l'emploi. Car si on forme mais que derrière, il n'y a pas d'accès à l'emploi, ça ne sert pas à grand-chose.

La manière d'emmener le contenu est plus cool que sur les plateformes déjà existantes. Les gens, le vocabulaire... L'éducation est un produit culturel. Le driver qui fait que l'information aura un impact sur le cerveau est le même que lorsqu'on fabrique une série, un documentaire, un magazine. D'où aussi cette notion de localisation. Nous n'allons pas apporter la même information de la même façon à un jeune du Congo, un jeune Français ou un jeune d'Asie. Les référents culturels, les langues - nos cours sont dispensés en français, en anglais et en portugais - sont différents. Nous produisons au plus proche des populations. Tout ce que l'on a appris sur le continent africain a été appliqué à la France. On s'est rendu compte que le besoin était là. Nous ne sommes pas parfaits. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Certaines entreprises nous demandent désormais de revoir avec elles leur parcours de formation professionnelle. Pour le moment nous ne sommes pas prêts mais nous ne disons pas non. Cela demande une mécanique de précision dans la fabrication du contenu, l'extraction du savoir-faire de l'entreprise, la traduction en contenu audiovisuel, le tout dans des budgets contraints... Et avec un suivi personnalisé, ce qui exige aussi du temps. On y va sérieusement, c'est une verticale qui s'ajoute à notre métier de divertissement. Aujourd'hui nous comptabilisons 4.000 à 5.000 téléchargements par jour.

Vous avez commencé par l'Afrique, aujourd'hui vous vous lancez en France. Quels sont les objectifs de déploiement ?

Nous sommes présents en Afrique dans 7 pays, nous lançons la France, dont l'Outre-mer - en Martinique, Guyane, Réunion, Guadeloupe. Nous avons également une équipe au Brésil, en Angleterre... Nous prévoyons des lancements dans tous ces pays. Nous nous rendons compte que même avec des adaptations locales, c'est une plateforme qui répond à un besoin universel.

Vous avez installé Trace Academia à Marseille. Pourquoi ce choix « décentralisé » ?

Nous avons installé le hub de Trace Academia pour la France à Marseille car nous avions déjà démarré une expérience éducative qui s'appelle Trace Talents Marseille, où tous les ans, nous accueillons des jeunes intéressés par l'univers de la musique et des industries créatives, que nous accompagnons avec des mentors, des « grands frères », des parrains, des experts durant plusieurs mois. On les aide à se former et à trouver un job. La Ville de Marseille vient de renouveler notre partenariat pour une troisième édition.

Comment collaborez-vous avec les entreprises ? Il faut les convaincre de vous soutenir...

Il existe une grande culture BtoB au sein de Trace. Nous collaborons avec plus de 500 entreprises - qui sont des annonceurs - avec lesquels nous faisons de la pub, du brand content ou des opérations spéciales. Nous n'avons donc pas peur de ce monde-là. Nous avons eu la chance de pouvoir faire un pilote - grâce à une subvention du ministère des Finances - et en tant que conseiller au commerce extérieur de la France, j'ai demandé à certains dirigeants eux aussi CCE, d'accepter de travailler avec nous sur toute la partie R&D. Nous avons ainsi pu collaborer avec Leroy Merlin, Schneider, L'Oréal, Bureau Véritas... Lorsque nous avons pu montrer à quoi la plateforme ressemblait, cela a été plus facile. Et les entreprises ont vite compris qu'elles bénéficiaient d'une sorte de double effet kiss cool, car non seulement nous parlons aux personnes en charge de la responsabilité sociale et sociétale, mais aussi à ceux qui s'occupent des ressources humaines, de la marque, du marketing. Cela concerne aussi les directions générales. Qui y voient une promotion de leur marque, de leurs métiers. Et on sait que dans certains secteurs, il est difficile d'attirer les jeunes. C'est aussi un outil de mobilisation en interne.

Quel est le business-modèle de Trace Academia ? Quel est le montant de l'investissement consenti ?

Il était essentiel pour nous de faire en sorte que la plateforme soit d'accès gratuit. Nous savons bien que les jeunes font face à une problématique de pouvoir d'achat et que lorsqu'ils ont de l'argent, ce n'est pas forcément dans la formation qu'ils vont l'investir. Nous proposons donc aux entreprises de co-financer avec nous à hauteur de 50%. La fondation Mastercard nous accompagne également. Nous mettons tout notre contenu à disposition des entreprises, elles peuvent ainsi l'utiliser en interne si elles le souhaitent. Au total, 7 millions d'euros ont été investis, à fin 2022 dont 1,7 million d'euros sur la plateforme digitale, 4 millions d'euros sur les cours, le reste étant du marketing, des études...

Quels sont vos objectifs en France ?

Nous ne nous sommes pas fixés d'objectif en ce sens, mais nous aimerions impacter 25 millions de jeunes dans le monde. En France, j'imagine que nous pouvons impacter quelques centaines de milliers. Nous trouvons que le terreau français est particulièrement fertile car le système est très tourné vers la méritocratie et cela laisse beaucoup de jeunes sur le bord de la route. On sait que tout jeune possède un talent. Aller les chercher ce n'est pas simple, même avec un produit gratuit. D'où l'importance des acteurs de terrains, comme l'Ecole de la Deuxième chance, la Fondation d'Auteuil ou, à Marseille, L'Epopée. Nous faisons attention également à l'équilibre économique, nous voulons que ce soit un modèle sustainable, durable. Nous voulons que la plateforme demeure gratuite, mais nous n'excluons pas, qu'à terme, certains services premium soient payants.

Les acteurs de e-learning vous regardent-ils avec attention ?

Forcément... mais nous sommes complémentaires. Notre métier ce n'est pas les certifications, donc nous ne les bousculons pas trop. Nous sommes également prêts à travailler avec d'autres plateformes de formation.

Vous ciblez les jeunes, mais aujourd'hui l'émergence des nouveaux métiers, une volonté de s'épanouir au travail, poussent un certain nombre de personnes, de tout âge, à entamer une formation... Est-ce un mouvement que vous constatez ?

Une étude américaine montrait récemment que 50% des personnes ne sont pas heureuses au travail, pour de multiples raisons, et seules 20% d'entre elles changeront de métier. Ce qui est intéressant avec notre plateforme c'est que l'on peut se former en ligne, pendant le temps libre, le soir, le weekend, pendant les transports... Quand la plateforme montera en puissance, nous pourrons les aider à faire cette transition. Nous pensons que demain, le monde ne sera pas un monde d'emplois, mais un monde de compétences.

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Commentaire 1
à écrit le 24/11/2022 à 11:12
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Il serait plus juste de dire que ; "L'Education est source de profit par sa transformation en produit culturel ! Encore un parasitisme numérique !" ;-)

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