« Aix-Marseille doit adopter de nouvelles méthodes pour révéler son potentiel » (JL Chauvin, CCI Aix-Marseille Provence)

Marseille en Grand, JO 2024, Afrique, Grand Port maritime… plus que jamais la première métropole de France se trouve sous les feux des projecteurs, et de toutes sortes. L’occasion de montrer un visage innovant, ouvert, capable de se remettre en question, de remettre aussi au placard inimitiés et désaccords pour le bien commun. Une volonté d’esprit collectif que le Plan Marseille en Grand a su impulser mais qui doit – et c’est peut-être l’enjeu principal – ne pas retomber. C’est le souhait relayé par le président de la chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence. Qui souligne l’adaptabilité des entrepreneurs, s’inquiète d’un président du conseil de surveillance du GPMM toujours pas nommé, d’un foncier qui fait toujours cruellement défaut. Mais qui appelle aussi à un esprit pionnier. Pas pour jouer les rebelles mais pour gagner en compétitivité. L’autre nerf de la guerre.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Les chefs d'entreprises ont-ils le moral ?

JEAN-LUC CHAUVIN - Le climat est clairement anxiogène - anxiogène sur les sujets d'énergie, anxiogène sur le prix des matières premières, anxiogène sur le fait de trouver de la main d'œuvre... Pour autant, la réalité est un peu différente que ce ressenti. L'enquête de conjoncture métropolitaine que nous venons de mener dit que pour le deuxième trimestre 2022, le moral des chefs d'entreprises et la santé des entreprises sont plutôt bons. Nous sommes sur un trend où les fondamentaux sont là, on constate la capacité d'adaptation des chefs d'entreprises face aux difficultés - et de leurs collaborateurs - et une agilité supplémentaire. Il ne sert à rien de se faire peur pour se faire peur. Les entreprises ont démontré une résilience depuis deux ans. Le défi de la sobriété énergétique, qui est une crise majeure, nous impose à court terme des économies d'énergie mais c'est à plus long terme, une chance. Dans toutes les crises, il existe une part d'opportunité. Cela va nous permettre d'accélérer les transitions énergétiques et environnementales, cela va modifier notre façon de travailler et d'apprendre à mieux réutiliser certains matériaux plutôt que de les produire. C'est compliqué, complexe, mais je reste confiant.

Le territoire est attractif, les différentes études le montrent. Notamment en santé. Que manque-t-il ?

Le territoire métropolitain est en effet reconnu en matière de recherche, en matière de transfert entre la recherche en laboratoire et le monde de l'entreprise... Nous sommes également identifiés sur des sujets de pointe comme l'infectiologie, la cancérologie, l'immunologie, les maladies rares... On a, plus largement, un sujet avec la silver économie. Mais c'est une filière qu'il faut renforcer en attirant des entreprises de taille moyenne et en aidant des structures plus petites, installées sur le territoire, à grandir, pour compléter l'écosystème notamment. Pour cela nous avons besoin d'un foncier disponible, mais pas aux quatre coins de la métropole. Un foncier qui soit disponible là où est installée la recherche fondamentale, là où est installé le passage à l'entreprenariat. Nous avons ici beaucoup de collaborateurs formés. Or, c'est l'écosystème qui donne de la visibilité. C'est ce qui marche dans le monde c'est ce qui marche dans la filière. Il faut créer une caisse de résonnance.

Le port est aussi un levier d'attractivité, il est par ailleurs en plein développement, fourmille de projets et se veut un port entrepreneur. Comment la CCI travaille-t-elle sur ces sujets d'attractivité ?

Le port est le moteur du développement économique depuis 2600 ans, Marseille s'est fait par la mer, par les échanges, ce n'est pas nouveau. Nous avons des infrastructures mais nous avons aussi du foncier, ce qui est un point important. Et oui, le GPMM peut accélérer, aller plus loin. Le port doit retrouver sa place de premier port français. On doit amplifier le soutien à la décarbonation industrielle sur ce territoire et prendre le lead. Le port est un élément où on fait arriver des marchandises brutes et d'où on fait repartir des marchandises finies. Ou l'inverse. Les marchandises brutes doivent être transformées avant d'être remises sur la mer. Il faut bien comprendre que le poids de l'industrie pour un équipement portuaire est essentiel. Ici, nous disposons de 50% de terres naturelles, le sujet de la décarbonation est capital. Et nous sommes particulièrement bien placés pour cela. Nous avons les énergies, le photovoltaïque, l'hydrogène - sur lequel nous accélérons - des innovations - comme avec Jupiter 1000 - mais surtout, nous avons Iter. Nous avons du foncier. Nous avons donc tous les éléments pour réussir. Mais une fois que nous avons posé tout cela, que nous faut-il ? Je suis très sensible au fait que le président de la République ait annoncé le 2 septembre, son intention très forte de faire de ce port un élément majeur de l'attractivité du territoire. Il est question de nouvelles dessertes, une enquête publique a été menée pour la desserte ferroviaire. Emmanuel Macron a dit, je cite que « le port mérite des investissements massifs, il doit être modernisé, mieux relié, pensé lui aussi en Grand ». Il est notamment question du fluvial. Il faut maintenant accélérer sur ce point. Cela fait un an que le sujet est sur la table. Il faut aller plus loin que le Rhône et la Saône. Il faut créer la connexion qui permet de ses relier aux grands corridors européens et bénéficier d'un autre investissement majeur qui est la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Il faut imaginer aussi que nous puissions remonter des marchandises vers le cœur du marché, vers Nord de l'Europe. Nous devons enclencher maintenant car c'est du temps long qui servira les générations pour dans 30 ans ou 40 ans. Il faut que ce territoire explique à la France et il faut que la France explique, avec les acteurs du territoire, à l'Europe - parce que les investissements sont colossaux et qu'ils profiteront à l'Europe - l'intérêt de ces projets. Et là, nous regagnerons des parts de marché. Mais tous ces sujets doivent entrer dans un plan beaucoup plus grand. Le président a dit que le port méritait le respect. Mais il mérite aussi d'avoir au plus vite un président du conseil de surveillance. Il nous faut quelqu'un à la hauteur de notre potentiel, de nos ambitions. Idéalement quelqu'un qui connaît l'économie, les sujets portuaires, qui ait l'expérience en matière de marchandises ou de mobilité et s'il connaît le territoire, c'est encore mieux. Il nous faut quelqu'un qui n'utilise pas le port politiquement, qui ne nous fasse pas retomber dans de vieilles luttes alors que nous avons retrouvé un port apaisé depuis plusieurs années. Traditionnellement, c'était un membre du monde économique et pendant longtemps le président de chambre de commerce et d'industrie.

Le Plan Marseille en Grand possède un très large volet dédié à l'entreprenariat. Le consensus semble avoir été fait dès le départ. Peut-il, de ce point de vue, créer une vraie bascule ?

Tous les acteurs économiques se sont mis en synergie. La CCI AMP a été désignée lauréate de l'un des carrefours de l'entreprenariat, baptisé Instinct Biz' et qui a ouvert ses portes. Il faut continuer à déployer ce plan très vite et c'est probablement un vrai tournant pour l'avenir. Il ne faut pas se battre les uns contre les autres mais se battre ensemble pour obtenir le plus de dossiers possible. Cette méthode de travail commun, collective, dans le respect de chacun doit devenir une habitude. Et cette méthode doit s'appliquer au travail avec les collectivités, lesquelles doivent s'appuyer davantage sur le monde économique. A l'heure où l'argent est rare, on doit éviter de dépenser deux fois pour des sujets identiques ou complémentaires. Il faut que ce jeu collectif initié par Marseille en Grand se diffuse, s'infuse avec les collectivités.

La question de l'attractivité concerne également l'attractivité des talents. La crise sanitaire semble avoir suscité un retard peut-être nouveau de la part de salariés venus notamment de Paris et de sa région. Comment expliquez-vous cela et surtout comment continuer à surfer sur cette vague d'intérêt.

Le vrai sujet de l'attractivité c'est le salaire urbain. C'est comment concilier vie privée, famille, activité en extérieur et comment on concilie cela avec la vie professionnelle. C'est ce qui pousse à repenser les modalités de travail afin de redonner de l'attractivité et répondre aux attentes des talents.

Autre outil d'attractivité mais aussi de développement pour les entreprises du territoire, les JO représentent une réelle opportunité. Méconnue ? Comment encourager les entreprises à se positionner sur ce sujet (et sur les appels d'offres ?) Comment travailler l'héritage ?

Les JO, et les JO paralympiques, constituent une chance exceptionnelle. Dans toutes les villes olympiques, il y a un avant et un après. Parfois l'après est meilleur qu'avant, parfois il ne l'est pas. C'est cela qu'il ne faut pas rater. Il y a plusieurs sujets. Dont celui des marchés. J'invite les TPE PME à se rendre régulièrement sur les plateformes créées exprès pour répondre aux appels d'offres, notamment sur les opportunités d'achat local et responsable. Les JO concernent 10.300 emplois selon l'étude que nous avons mené. C'est l'occasion de mettre en avant nos expertises et, j'y tiens beaucoup, nos innovations. C'est ici que nous avons des bateaux à hydrogène. Ce qui va nous manquer ça ne seront pas les innovations mais les infrastructures. C'est cela qui devient urgent, urgentissime. Là, on laissera un héritage.

On évoque souvent l'Afrique et les liens à renforcer avec les pays de la Méditerranée. Concrètement quels sont les projets qui avancent ? Ou en est Afric'Agora ?

L'Afrique c'est l'histoire de ce territoire. Je suis satisfait que toutes les collectivités aujourd'hui y accordent de l'importance et suivent de près cette Afrique économique. Africa'Link est un réseau qui approche les 200 membres, 40% sont des TPE PME africaines, 9 comités locaux se sont déployés avec des ambassadeurs en Mauritanie, en Angola, au Maroc, en Tunisie, à Djibouti, à Madagascar, en Côte d'Ivoire... Bientôt, ce sera aussi en Afrique anglophone. La communauté s'agrandit et a reçu le soutien de la Région, de la Ville de Marseille et de la Métropole Aix-Marseille Provence. L'étape d'après, c'est en effet un lieu totem, qui permette les rencontres, d'apprendre les cultures, qui offre l'opportunité depuis Marseille de travailler avec l'Europe. Le projet avance, une feuille de route a été mise en place, c'est un lieu partagé qui prendra place au 30ème étage de l'immeuble La Marseillaise, symbole du business à Marseille. On veut aussi que le modèle économique soit viable et indépendant. Nous sommes en train de mener le tour de table. L'un des objectifs est de créer aussi des lieux totems en Afrique.

Ce tour de table nécessite quelle somme ?

Nous sommes en train de mener une concertation auprès d'entrepeneurs, aux côtés de la CCI AMP et d'Africa'Link. 300.000 euros à 350.000 euros sont nécessaires. Bien sûr, nous menons une concertation avec les collectivités, nous aurons besoin des institutions comme la Métropole, la Région, pour les premiers pas. Mais il doit ensuite être indépendant.

Quels sont les autres pays vers lequel le territoire doit regarder ? Vous avez notamment mené une réunion d'information vers le Vietnam...

Nous regardons beaucoup l'Asie, en effet. Le Vietnam, le Japon notamment sur des sujets d'intelligence artificielle et de robotique. Nous regardons également le Canada et Québec, sur des thématiques d'économie bleue, d'IA ou de santé. C'est un territoire avec lequel nous avons des liens historiques. Avec la Région, qui est le chef de file économique, on accompagnera les startups au CES Las Vegas et nous reconduisons une learning expedition pour les PME qui veulent aller voir l'innovation. Une autre learning expedition est prévue pour les PME lors du NRF de New York pour faire découvrir ces environnements tech, innovation, pour montrer ce qu'il se passe ailleurs et leur permettre de réagir, d'anticiper. Car c'est comme cela que l'on acquiert de la résilience, qu'on se développe.

Nous regardons aussi l'Europe dont l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie. Ce territoire dispose d'un vrai potentiel. Les transitions que nous sommes en train de vivre - sociales, environnementales, sociétales - placent ce territoire en positions très avantageuse. On doit se doter de nouvelles méthodes pour accélérer. Ce territoire doit devenir un territoire pionnier. Il faut réveiller les consciences.

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