Quand l’industrie agroalimentaire du Sud s’exporte

François Doucet et ses confiseries. La conserverie Au Bec fin qui valorise le terroir provençal. Caragum et ses stabilisants pour l’industrie agroalimentaires. Trois entreprises de la Région Sud qui ont un point commun : l’export. Elles témoignent sur ce que cela leur apporte, sur la stratégie qu’elles ont mise en place et sur les difficultés rencontrées.
(Crédits : DR)

Un milliard d'euros. Voilà ce que pèserait, d'après l'Aria (Association régionale des industries agroalimentaires) du Sud, l'activité d'exportation réalisée par les deux centaines d'entreprises agroalimentaires du territoire ayant une activité à l'international. Un chiffre obtenu à partir de projections qu'il conviendrait d'affiner. Et qui regroupe des sociétés de tailles et d'activités diverses.

Parmi elles, assez peu de grands groupes. Beaucoup de PME et de TPE. Dont bon nombre se situent sur le marché de l'épicerie fine. Exportant, à travers leurs produits, un morceau de Provence.

Pour la conserverie Au Bec fin, l'identité tropézienne est un atout

C'est le cas de la conserverie Au Bec fin, installée à Cogolin dans le Golfe de Saint-Tropez, dans le Var. « Notre métier est de fabriquer des produits du terroir en Provence, à partir de matières premières locales », explique son dirigeant Olivier Manière. L'entreprise, qui compte entre 40 et 50 salariés selon les saisons, se targue ainsi d'être « la seule du bassin méditerranéen à faire vivre 27 familles de pêcheurs qui pêchent exclusivement pour nous ». Elle travaille aussi avec plusieurs paysans pour ses légumes. De même qu'avec une coopérative de cueilleurs d'herbes sauvages.

Une activité circulaire qui ne l'empêche pas de voir loin. « Nous réalisons 24 % de notre chiffre d'affaires à l'export ». En particulier en Amérique du Nord, en Europe, mais aussi en Nouvelle Zélande et depuis peu en Chine. Ses atouts : une identité française qui, sur le marché de l'alimentaire « a la faveur des clients internationaux ». Par ailleurs, complète le chef d'entreprise, « le fait d'être identifié comme une entreprise du Golfe de Saint-Tropez nous aide beaucoup. Beaucoup de pays savent situer Saint-Tropez sur la carte, peut-être plus que Marseille ». Mais plus que l'image paradisiaque des palmiers baignés de soleil, c'est avant tout le goût qui importe : « si ce n'est pas bon, vous ne vendez pas deux fois ».

EPV : un label que François Doucet entend faire valoir

Vendre des saveurs locales, c'est aussi le pari de François Doucet, situé à Oraison dans les Alpes-de-Haute-Provence. Des saveurs plus sucrées en l'occurrence, puisque cette PME d'environ 70 salariés fabrique des pâtes de fruits et chocolats pralinés à partir de matières premières majoritairement locales.

Initialement centrée sur le marché français, l'entreprise s'est progressivement développée à l'export, comme l'explique son dirigeant Ronan Autret : « Nous sommes très forts en Espagne, en Angleterre, aux États-Unis ainsi qu'au Japon où nos chocolats sont très prisés pour la Saint-Valentin ». Fête qui se décline là-bas en deux dates espacées d'un mois. « Tous les ans, nous envoyons un conteneur spécialement pour cette fête ».

Si l'entreprise dispose de plusieurs marques en France, elle n'exporte que sa marque haut-de-gamme. Et surtout du chocolat. « Ce n'est pas facile d'expliquer à des étrangers ce que sont les pâtes de fruits et donc de justifier leur prix ». Une différenciation par la qualité que sont venues renforcer plusieurs consécrations. « Le label EPV que nous avons obtenu en 2017 nous a aidés. Il commence à être reconnu chez les distributeurs à l'international ». De même que la participation de l'entreprise à la Grande exposition du Fabriqué en France à l'Élysée. « C'est un atout indéniable dans les salons. L'Élysée, ça parle ! ».

Caragum : une industrie agroalimentaire provençale qui sert l'agro-industrie mondiale

Installée au Rove, au Nord de Marseille, l'activité de Caragum fait a priori moins saliver. Pas de saveurs du terroir en effet. Mais des ingrédients indispensables à bien des industries agroalimentaires : épaississants, gélifiants, stabilisants et autres extraits d'algues permettant de lier sauces, glaces et fromages.

L'entreprise de 25 salariés réalise 90% de son chiffre d'affaires à l'export. « Nous sommes présents dans une soixantaine de pays », explique son fondateur Jean-Claude Tur. Parmi eux : les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne. L'Asie, qui représente 20%. L'Amérique du Sud ou encore l'Afrique.

Sa force : une gamme de produits beaucoup plus large que ses concurrents. Ce qui permet à ses clients d'économiser du temps et de l'argent. Mais avoir des atouts ne fait pas tout. Encore faut-il savoir les valoriser.

Un marché où la rencontre physique demeure indispensable

Dans leur stratégie d'export, les trois entreprises ont toutes commencé par enchaîner les salons internationaux. « Même quand on n'y vend rien, ce n'est jamais négatif. Il y a toujours des retombées », souligne Jean-Claude Tur de Caragum.

« Les salons sont le nerf de la guerre », le rejoint le patron de la conserverie varoise dont l'activité internationale a souffert de l'épidémie de covid-19. « Dans ce métier, le contact physique est important. En temps normal, les distributeurs viennent nous voir une fois par an pour découvrir les nouveautés. Quand ils ont arrêté de voyager, nous avons perdu contact avec certains ».

Le développement à l'international exige aussi des moyens humains. En interne comme en externe.

Chez Caragum, c'est le fils du fondateur qui s'y colle. Il s'appuie pour cela sur une quarantaine de distributeurs auxquels s'ajoutent des relations plus directes avec certains pays comme l'Algérie. Mais Jean-Claude Tur de regretter une dépersonnalisation des relations. « Désormais, les acheteurs des grands groupes ne regardent que le prix. Ils se fichent de vous connaître. Si une offre est meilleure ailleurs, ils vous lâchent. Sans être reconnaissants pour les services rendus ».

A la conserverie Au Bec fin, c'est Olivier Manière et une assistante dédiée - parlant quatre langues - qui assurent le développement international. Ils s'appuient, eux aussi, sur un réseau de distributeurs.

Quant à François Doucet, le développement de l'export a d'abord été le fruit d'opportunités glanées au fil des salons, avant de donner lieu à une véritable stratégie. Stratégie qui démarre avec le recrutement d'une responsable export, et qui se poursuit par une démarche de ciblage avec le soutien de la Chambre de commerce et d'industrie. De sorte qu'en 2021, la PME a vu son chiffre d'affaires à l'export croître de 28 %.

Capacité d'adaptation

Pour exporter, il faut également savoir s'adapter aux besoins. De même qu'aux réglementations locales, particulièrement fluctuantes lorsqu'il s'agit d'alimentation.  Au sein de Caragum, « une personne a été embauchée pour assurer toute la veille réglementaire », explique Jean-Claude Tur.

Même chose au sein de la conserverie Au Bec fin : « notre responsable qualité maîtrise parfaitement l'anglais et est capable d'analyser la législation des produits ». La conserverie multiplie par ailleurs les certifications lui facilitant l'accès à divers marchés.

Elle tente aussi de s'adapter aux habitudes de consommation de chaque territoire. « En Chine, nous avons dû faire goûter nos produits en amont car il y a des choses qui ne passent pas du tout là-bas. Par exemple, la bouillabaisse. C'est trop pointu pour ce public. Ils ne comprennent pas ce dont il s'agit ». Et parfois, des ajustements sont réalisés sur les recettes : « pour des raisons organoleptiques, si cela concerne un client suffisamment important, nous sommes en mesure d'ajouter plus de sel, de réduire la quantité de poivre ou de piment ».

S'adapter aux spécificités des pays, mais aussi aux fluctuations mondiales, telle l'actuelle hausse des coûts de transports. Une raison de rebrousser chemin ? Pas pour les trois entreprises interrogées. Même si la hausse du prix des conteneurs lui a fait perdre un client américain, Caragum entend bien poursuivre ses efforts à l'international. « On essaie de passer cette période compliquée en restant présent partout. Quitte à réduire nos marges ».

Car tous en sont convaincus. L'export est un plus. Et pas seulement pour gonfler le chiffre d'affaires. « C'est une façon d'équilibrer les risques. Et de donner une visibilité plus large à nos produits », explique Olivier Manière. C'est aussi une source de fierté : « C'est quand même sympa de voir ses produits à New-York, Shanghai ou Toronto ». Qui oblige à innover toujours plus.

Jouer groupés

Pour amplifier leur déploiement mondial, certaines entreprises n'hésitent pas à trouver des renforts ailleurs. Ce peut-être auprès institutions, de syndicats professionnels comme l'Aria. Mais aussi via de la croissance externe : une stratégie pour laquelle opte par exemple Caragum. « Il nous arrive de prendre des participations chez des fournisseurs pour peser plus sur un marché dominé par des géants. Et pour élargir notre offre ».

La conserverie Au Bec fin mise quant à elle sur la constitution d'une holding dénommée French Gourmet. « Elle regroupe des entreprises agroalimentaires de même qualité : Savor & sens, ainsi que Confit de Provence et sa filiale bretonne ». L'idée : préserver l'identité de chacune - les dirigeants restent en place - mais mutualiser les réseaux, les connaissances, et les moyens. Y compris lorsqu'il s'agit de s'inscrire à divers salons internationaux, particulièrement coûteux. Ou de partager le contact d'un distributeur étranger. Car ensemble, on exporte plus loin.

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