Café : une économie aux premières loges du réchauffement climatique

EPISODE 3 – Alors que la culture de café est particulièrement menacée par le réchauffement climatique, l’innovation pour y faire face est largement insuffisante, mettant en péril une économie porteuse de 135 millions d’emplois dans le monde. C’est pour pallier ce manque qu’a été créée l’ONG internationale World Coffee Research dont l’antenne européenne est installée à Marseille.
(Crédits : DR)

Pourrons-nous continuer à boire quotidiennement du café d'ici trente ans ? La question peut sembler absurde. Pourtant, en l'état, il est difficile de répondre par l'affirmative.

Alors que la demande mondiale ne cesse de croître - portée notamment par la hausse de la demande des ménages asiatiques - l'offre devrait connaître une chute radicale. En 2012, on estimait ainsi que la moitié des cultures auraient disparu en 2070. En 2017, cette échéance a été ramenée à 2050.

En cause : le réchauffement climatique, principale menace pesant sur la caféiculture. Car le caféier est un arbuste très sensible aux variations de températures, qu'il préfère entre 18 et 25°C. Un coup de chaud et voilà que les feuilles brûlent, que les pathogènes profilèrent et le détruisent.

Mais le réchauffement climatique, ce sont aussi des dérèglements en tous genres tout aussi néfastes pour cette culture : épisodes de gel plus vigoureux et plus fréquents, précipitations anarchiques peu en phase avec le développement des plants, asséchement des sols... et tout ce que cela implique en matière de conditions de travail pour les agriculteurs.

Si le réchauffement climatique peut encore, dans certains cas, relever de la projection, il est déjà une réalité palpable dans le monde du café. En témoigne le violent épisode de gel de 2021 qui a ravagé les cultures du Brésil, premier producteur exportateur au monde. Arbustes avachis. Feuilles brûlées ... 24 % de la production a ainsi été détruite. Soit une perte 10 millions de dollars de chiffre d'affaires sur la production de 2022, ce qui équivaut à un tiers des achats annuels des États-Unis.

Une économie de 135 millions d'emplois

Dans le monde, 135 millions de personnes vivraient de l'économie du café, dont 25 millions dans la production. La filière générerait entre 10 à 15 milliards de dollars par an. On imagine l'impact d'une réduction de moitié de la production sur cette économie.

Pourtant, très peu d'argent est investi afin de rendre les cultures plus résistantes.

C'est pour remédier à cela qu'est fondée en 2012 l'ONG World Coffee Research, financée par 190 industriels du café. Et c'est à Marseille que celle-ci a choisi d'installer son antenne européenne à Marseille, premier port d'entrée du café sur le continent.

Le café est « l'une des cultures les moins étudiées et les moins innovantes au monde », assure le docteur Kraig Kraft, directeur des recherches concernant l'Asie et l'Afrique. Et d'illustrer par une comparaison « il y a 6.640 variétés de fraises enregistrées à l'UPOV (le registre international des variétés végétales protégées) contre seulement 111 variétés pour le café. Il y a donc 59 fois plus d'innovation dans le développement des variétés de fraises que dans le café, bien que la valeur économique globale du café et son importance comme moyen de subsistance pour de petits exploitants dépassent de loin celles des fraises ».

Une culture orpheline

Jusqu'à qualifier la culture de café d'« orpheline. Le café est principalement cultivé dans les pays pauvres et consommé dans les pays riches. Or, il est difficile pour les gouvernements des pays producteurs de donner la priorité aux investissements dans la recherche sur le café». Tandis que  les pays consommateurs préfèrent investir en faveur de productions locales.

Alors l'ONG compense le manque en s'appuyant sur les financements privés de ses membres. Elle s'attelle à identifier et mieux comprendre les diverses variétés de plantes. A améliorer leur conservation. A en créer de nouvelles. A les rendre disponibles aux agriculteurs afin que ceux-ci améliorent leur rentabilité et la résistance de leur exploitation.

« Nous travaillons en priorité dans 11 pays essentiels qui produisent 30% de l'offre mondiale de café.  Nous nous concentrons sur l'innovation variétale parce qu'elle permet de relever simultanément de multiples défis en matière de durabilité et de commerce ». Notamment en choisissant des espèces qui permettent de réduire la consommation d'intrants chimiques.

Mieux associer variétés, terroirs et conditions climatiques

Pour mener à bien ses missions, l'ONG dispose de terrains d'essais où elle teste différentes variétés dans divers milieux, selon plusieurs configurations climatiques, jusqu'aux plus extrêmes. Elle évalue également les pratiques culturales.

Les données qu'elle collecte lui permettent par ailleurs de réaliser des prédictions pour mieux anticiper les conséquences du changement climatique sur les cultures de café, et identifier les zones où l'innovation est la plus urgente.

Parmi les projets portés par l'ONG, un « essai international de variétés multi-localisées » lancé en 2015. Celui-ci naît du constat d'un manque de choix de semences pour les agriculteurs. Une situation qui s'explique par l'histoire même de l'économie du café. Histoire qui s'est écrite sans réelle considération de la bonne association entre terroir et variétés plantées. De sorte que les producteurs « plantent souvent des graines sensibles aux maladies ou dont les performances ne sont pas optimales dans leur région, ce qui les rend doublement vulnérables », explique l'ONG.

Le World Coffee Research a donc réuni 31 variétés de café issues de 11 fournisseurs mondiaux afin de les tester à grande échelle, sur le long terme, là où elle n'avait pas forcément l'habitude d'être cultivées. Une façon de mieux choisir les variétés, et d'alimenter la recherche de connaissances nouvelles. « Ce programme a été l'un des premiers grands programmes que nous avons lancé et il arrive à maturité avec d'excellents résultats », se félicite Kraig Kraft. « Aujourd'hui, plusieurs pays sont en train de procéder à des essais pré-commerciaux en vue du lancement potentiel de nouvelles variétés basées sur les performances de cet essai. Et les données mondiales sur les performances des variétés alimenteront bientôt le premier effort mondial de sélection du café ».

Pour que le café ait autant de chances que d'autres productions de résister aux dérèglements climatiques. Et que les producteurs ne soient plus seuls pour y faire face.

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