Le Sud, pionnier à deux titres sur le marché français du café

EPISODE 1 – C’est par Marseille, au XVIIème siècle, que le café fait sa première entrée sur le marché français. Au départ élitiste, il devient un produit de masse, porté par le commerce triangulaire et l’esclavage, puis dominé par des mastodontes de l’industrie qui imposent leurs règles du jeu aux producteurs. En 1992, l’entreprise azuréenne Malongo, basée à Carros, montre qu’un autre mode de fonctionnement est possible, devenant le numéro un français du café équitable.
(Crédits : DR)

2 juin 2020. Enfin ! Cafés, bars et restaurants sont autorisés à rouvrir leurs portes après trois longs mois de confinements. Sur les terrasses fièrement dressées, on se presse pour siroter à nouveau ce breuvage noir et fumant, recouvert d'une mousse enveloppante. Seul, observant la foule, lisant un journal. Ou bien à plusieurs, savourant cette liberté retrouvée.

Tout un symbole ce café. Moments de convivialité. A la fois énergisant et reposant dans une vie à cent à l'heure. Mais aussi prétexte pour réunir les gens autour d'une cause, en témoigne l'essor des cafés à thème, qu'il y soit question de philo ou d'émancipation des femmes.

Le café, c'est aussi un appel au voyage. Équateur. Angola. Colombie. Brésil... Une denrée que l'on cultive dans l'hémisphère Sud et que l'on consomme au Nord. Un emblème de la mondialisation qui, lorsqu'on remonte à ses racines, nous conduit inévitablement à de sombres pages de l'Histoire.

Marseille, port d'accueil du café en France

D'abord consommé sous sa forme sauvage en Éthiopie, le café aurait été pour la première fois cultivé au Yémen dès le XIIème siècle. Le breuvage infuse le monde arabe, porté notamment par l'interdiction de l'alcool. De premiers lieux de consommation apparaissent à Constantinople. Ville monde qui lui ouvre les portes de l'Europe.

En France, le café fait son entrée par le Port de Marseille. Sur place, les habitants sont très vite conquis par cette boisson amère, couleur noir d'encre, que l'on recommande, entre autres, contre les maux d'estomac. De sorte qu'en 1671, le premier établissement français de café ovre ses portes dans ce qui deviendra le quartier de la Bourse, non loin du Vieux Port. Le concept essaimera ensuite à Paris.

Sous l'impulsion de Louis XIV, grand amateur de café, de premiers caféiers sont plantés en Martinique. Dans le monde, le commerce triangulaire et la traite humaine contribuent au développement de cette culture. A Saint-Dominique par exemple, on écoule, peu avant la Révolution française, 40.000 tonnes de café par an. Une production qui repose sur l'exploitation de 500.000 esclaves.

Avec l'abolition de l'esclavage puis les décolonisations, les pays Nord ne sont plus producteurs. Mais on continue d'y transformer le café. On l'achète, on le torréfie, on le conditionne puis on le distribue. Désormais, on estime que le café - qui est coté en bourse - génère un chiffre d'affaire de 10 à 15 milliards d'euros annuels. Et fait vivre 25 millions de personnes côté production, 100 à 110 millions côté transformation.

Henry Blanc et Malongo, fleurons de l'économie régionale

En France, trois multinationales possèdent 80 % du marché : le suisse Nestlé, le néerlandais Jacobs Douwe Egberts et l'italien Lavazza. Sur le territoire, les industriels - réunis au sein d'un Syndicat français du café - se situent tous sur le quart Nord-Est du territoire. A l'exception de deux d'entre eux : Henry Blanc et Malongo, figures de l'économie régionale.

Henry Blanc - qui n'a pas répondu à nos sollicitations - est créée en 1980 par l'entrepreneur éponyme. Un entrepreneur qui marque l'histoire de Marseille et de la région, occupant la première place sur le marché régional du café dans l'hôtellerie-restauration. En 1988, il s'ouvre au grand public en rachetant la torréfaction Noailles qu'il transforme en un lieu de convivialité où l'on discute autour de plusieurs types de cafés, dont de grands crus. On doit aussi à Henry Blanc, qui a dirigé dans les années 1970 l'Olympique de Marseille, le célèbre OM Café, occupant une position centrale sur le Vieux Port. Henry Blanc mourra en 2016 à l'âge de 81 ans, sous une pluie d'hommages venant tant du monde des affaires que de celui du sport.

Malongo, quant à elle, est un peu plus ancienne. Son histoire débute en 1934 à Nice, sous la forme d'une petite brûlerie, Les Cafés Malongo. Grâce à un feuilleton radiophonique en langue provençale - La Pastrouil de Tante Victorine - la marque rayonne dans un rayon de 100 kilomètres avant de s'étendre sur l'ensemble de la région. Ce n'est qu'en 1992 qu'elle bénéficie du rayonnement national dont elle dispose aujourd'hui, en se posant en pionnière du commerce équitable sur un marché très opaque, où le partage de richesse est sans cesse plus désavantageux pour les producteurs. Ainsi, d'après le collectif Commerce équitable France, entre 2014 et 2017, les acteurs de l'amont de la filière - producteurs et négociants - ne touchaient que 16 % de la valeur totale générée sur le marché français, contre 24 % vingt ans plus tôt.

Remettre la lumière sur les trajectoires du café, jusqu'au producteur

Pour Jean-Pierre Blanc, à l'origine du basculement vers le commerce équitable de Malongo,  « tout part de ma rencontre au Mexique avec le confondateur de Max Havelaar. Nous avons développé des coopératives avec un prix minimum garanti ». Une manière de rémunérer les caféiculteurs au-delà de leurs coûts de production, afin qu'ils puissent vivre dignement sans dépendre des cours boursiers.

Pour faire connaître son engagement, l'entreprise opte pour un changement de couleur de ses boites de café. Aux teintes noires et grises classiques, elle opte pour du blanc. Qu'elle orne des visages de ce ceux qui produisent son café, invisibles jusqu'alors.

Ce positionnement, au-delà de répondre aux nouvelles exigences des consommateurs, permet à l'entreprise d'améliorer la qualité de ses produits. Et notamment de proposer une gamme bio grâce à un système de primes versées aux exploitants qui voudraient se convertir à ce type d'agriculture. A ce jour, 65 % de ses produits sont labellisés Max Havelaar, 28 % sont bio.

Si l'entreprise ne représente que 2 % des parts de marché en France, elle occupe néanmoins la première place sur le marché français du commerce équitable, tous produits confondus. Avec un chiffre de 106,9 millions d'euros, elle compte 317 salariés et investit annuellement 1,7 millions d'euros en recherche et développement.

Innover pour répondre à la demande de transparence

Une capacité d'innovation qui lui a notamment permis de se distinguer en mettant au point une machine à capsules fabriquée en France. Machine voulue plus durable que ses concurrentes grâce à « une garantie de cinq ans et la possibilité de la recycler ».

Malongo utilise également la technologie pour répondre à la quête toujours plus poussée de transparence des consommateurs. « Nous avons avec Carrefour un partenariat qui nous permet d'utiliser la blockchain pour proposer au client, via un QR Code, d'accéder aux informations sur la plantation d'où est issu son café et de suivre toute sa trajectoire ».

La transparence : un maître mot que défend aussi, désormais, une toute nouvelle génération de petites structures artisanales, notamment en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Des structures de proximité, proches de leurs clients mais aussi de leurs fournisseurs. Soucieuses d'écrire un nouveau chapitre de l'histoire du café. Histoire d'une mondialisation à visage humain, et heureuse.

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