Zac de la Capelette à Marseille : deux décennies de désillusions

Épisode 1 – Ancienne terre d’industrie, le quartier de la Capelette, à Marseille, est devenu un territoire mêlant activités économiques et habitats, sans trouver sa réelle destination ; ne satisfaisant ni ceux qui y vivent, ni ceux qui y travaillent. En cause : un manque de cohérence du projet, réalisé par à-coups.
(Crédits : DR)

En ce jeudi soir d'hiver, la petite salle du premier étage du Centre social de la Capelette, à Marseille, accueille une cinquantaine de personnes. Des habitants mais aussi des salariés - le quartier compte un grand nombre d'entreprises (BTP, concessions automobiles, logistique notamment) et d'institutions comme le siège régional de Pôle emploi. Tous sont ici pour découvrir le bilan de la concertation menée auprès d'eux depuis plusieurs mois afin d'imaginer l'avenir du quartier. Face à eux, l'équipe de la Compagnie des rêves urbains, mandatée par la Métropole d'Aix-Marseille Provence pour mener la concertation, dresse d'abord un diagnostic du quartier.

Proche du centre-ville, ce quartier s'avère dans la pratique enclavé faute de transports en commun suffisants, tandis que le stationnement y est particulièrement anarchique.

Très familial, le quartier est par ailleurs sous-doté en matière de crèches et d'écoles, de telles sorte que certaines familles sont contraintes de scolariser leurs enfants dans les quartiers voisins, générant parfois des trajets de 45 minutes aller-retour. S'y ajoute un manque criant d'équipements culturels. Hormis la patinoire, il y avait jusqu'à peu une bibliothèque associative ; elle a fermé ses portes au début de l'hiver. Côté commerces : pas grand-chose non plus à se mettre sous la dent. Et s'il est une plainte particulièrement forte des habitants ce soir-là, c'est la trop forte densité de béton, ou plutôt le manque criant de verdure. « Il faut aérer ce quartier. Il faut plus de lieux où créer du lien humain », lance une habitante. « Du vert, c'est ce qui manque le plus », ajoute une autre avant de s'agacer : « cette ZAC a été complètement ratée ! »

Quartier dortoir

Et elle n'est pas la seule à le penser. Pour Lionel Royer-Perreault, qui cumule conjointement les casquettes de maire de secteur, de président de la Soleam (l'aménageur), de conseiller de la Métropole et de vice-président du conseil de territoire Marseille Provence : « Ce quartier n'a jamais trouvé sa destination. Les édiles de l'époque ont été incapables de faire un choix entre développement urbain et activité économique. Nous sommes donc aujourd'hui dans un entre-deux qui a conduit la zone à se paupériser ».

Constat que partage Mathilde Chaboche, adjointe au Maire de Marseille, chargée de l'urbanisme et du développement harmonieux de la ville. Elle qualifie ainsi la Zac de « quartier-dortoir avec seulement du logement, sans pôles de vie. C'est un quartier qui ne vit pas très bien, avec des problèmes de circulation, de sécurité, un sentiment de relégation alors qu'on se trouve tout près du centre-ville ». Comment en est-on arrivé là ? Petit retour dans le temps.

Au XIXème et XXème siècle, le quartier est une vallée industrielle, structurée autour d'un cours d'eau, l'Huveaune. Parmi les activités phare : le textile. Mais dans les années 1970-1980, le quartier souffre du déclin de l'industrie, s'orientant davantage vers du développement urbain à travers la construction de logements sociaux pour faire face à la démographie croissante de la ville.

A la fin du XXIème siècle, le quartier de la Capelette s'articule en trois zones : un noyau villageois commercial - qui s'est ensuite paupérisé au début du XXIème siècle-, une zone d'immeubles assez denses accueillant du logement social et une ceinture artisanale et industrielle qui demeure près de l'Huveaune.

Une construction par à-coups

Dès 1997, poursuit Lionel Royer-Perreault, « on a commencé à imaginer une ZAC, les édiles ayant conscience qu'il était nécessaire de réfléchir à son développement. Mais ils ont commis une erreur structurelle majeure en ne permettant pas à l'aménageur de maîtriser le foncier. En conséquence, on a une ZAC [75 hectares, ndlr] qui se construit par à-coups sur le foncier qui se libère, sans grande cohérence. Les voiries sont aménagées au fur et à mesure des possibilités. Et on assiste à des procédures contentieuses qui n'en finissent plus entre l'aménageur et les propriétaires de foncier ».

« Pendant longtemps, on a peu pris en compte la complexité de faire la ville », regrette Mathilde Chaboche. « On a donné carte blanche aux promoteurs, dans une forme d'urbanisme non programmé, à la parcelle ».

De l'Euroméditerranée des quartiers Est à la désillusion

Au milieu des années 2010, trois imposants immeubles sortent de terre. On promet aux habitants un quartier agréable. Sorte d'« Euroméditerranée des quartiers Est de Marseille », compare Lionel Royer-Perreault. Las. La population du quartier double entre 2006 et 2016, passant de 8.000 à 16.000 habitants, mais les équipements et espaces verts promis n'arrivent jamais. Les rez-de-chaussées d'immeubles restent pour la plupart vides, des friches demeurent, donnant une impression d'inachevé et un goût d'amertume aux habitants qui ont investi ici.

Il faut néanmoins souligner la présence du Palais de la glisse doté d'une patinoire, autour duquel aurait dû être construit un pôle commercial et de loisirs avec le projet de centre commercial Bleu Capelette. « Mais le centre commercial du Prado [à deux kilomètres de là, ndlr], est arrivé plus vite que prévu et il n'y avait plus de place pour un équipement de ce type ici ».

En outre, habitants et salariés doivent composer avec un certain nombre de nuisances générées par des activités localisées dans le quartier. Notamment celles du centre de transfert des déchets, par ailleurs très gourmand de foncier, et celles des services de la propreté urbaine.

Peu agréable pour les habitants, ce cadre de vie déplaît tout autant aux salariés des nombreuses entreprises de la zone, qui aimeraient bénéficier de davantage d'espaces verts et de lieux de restauration. L'environnement d'une entreprise participant grandement de la qualité de vie au travail.

Qui plus est, aux erreurs politiques et atermoiements administratifs, s'ajoute en 2017 l'aléa environnemental avec la mise en place du Plan de prévention des risques d'inondation qui place la ZAC en zone rouge. Un élément qui déstabilise considérablement les réflexions en cours. De même que l'épidémie de covid-19.

Reprise du chantier

Ce n'est qu'ensuite que Ville et Métropole reprennent la situation en main, permettant à la Soleam d'acheter directement du foncier, tout en obtenant la libération de terrains stratégiques.

Malgré le scepticisme des habitants qui craignent d'être déçus une seconde fois, plusieurs signes semblent confirmer que cette fois, un quartier plus cohérent se dessine.

Des travaux sont en cours pour le prolongement du tramway qui disposera d'ici 2025 d'un arrêt à deux pas de la patinoire. A également été lancé le chantier d'une toute nouvelle école qui accueillera dès 2023-2024 environ 500 enfants.

Un cinéma devrait en outre voir le jour, non loin de la patinoire. « Une bonne nouvelle » pour Mathilde Chaboche. « Cet équipement permettra au quartier de trouver une attractivité à la bonne échelle. A Marseille, les équipements culturels, publics comme privés, sont très concentrés dans le centre-ville et cela génère une fracturation entre des quartiers attractifs et d'autres dans lesquels personne ne se rend à moins d'y être obligé. Ce cinéma, en plus de la patinoire, pourra donner envie à des Marseillais de venir à la Capelette, d'autant plus avec l'arrivée du tramway ».

 Et Lionel Royer-Perreault de se réjouir : « Les briques se posent et signalent la reprise en main du destin de la Capelette ». Un destin qui devra répondre à un défi : celui de la ville de demain. Une ville agréable, verte et conviviale. Qui sache en même temps s'adapter aux dérèglements climatiques.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.