Comment l’IGP a redonné vie au citron de Menton

EPISODE 3 – Alors que sa culture s’était presque éteinte, le citron de Menton a vu son prix de vente et sa production considérablement augmenter depuis l’obtention d’une Indication géographique protégée en 2015. Des résultats qui s’expliquent par une forte stratégie de communication portée par l’Association pour la promotion du Citron de Menton, mais aussi par une pluralité d’acteurs publics comme privés.
(Crédits : DR)

Une écorce parfumée. Un jus limpide, généreux, acide sans être amer... Les qualités gustatives du citron de Menton ne sont plus à prouver, celui-ci ayant même la réputation de pouvoir se manger tel quel, comme une orange. Des propriétés qui sont en fait intimement liées à son terroir.

« Le citron de Menton pousse dans cinq communes au sein d'une zone littorale protégée par des montagnes. L'arbre bénéficie donc de la douceur de l'air marin tout en étant à l'abri des grands vents du Nord », dépeint Stéphane Constantin, directeur de l'Association pour la promotion du citron de Menton (APCM). Le sol, du grès de Menton, plutôt sableux et limoneux, joue également un rôle. De même que le mode de culture : en terrasse bien souvent et selon les principes de l'agriculture raisonnée voire biologique lorsque, comme c'est très fréquent, la culture est le fait de particuliers.

Célébré chaque année à l'occasion de la Fête du citron à Menton - qui attire jusqu'à 200.000 spectateurs -, ce fruit a toujours bénéficié d'une certaine notoriété. Pourtant, sa culture aurait bien pu disparaître, comme le raconte Stéphane Constantin.

Dans les années 1990, une culture quasiment réduite à néant

« Au XVème siècle, cette culture constitue une des premières ressources économiques de la principauté de Monaco. Et cela durera jusqu'à la moitié du XIXème. Le citron de Menton est très demandé par les pays du Nord de l'Europe et à bord des bateaux où il permet de lutter contre le scorbut », une maladie liée à une carence en vitamine C qui provoque un déchaussement des dents pouvant aboutir, faute de traitement, à un décès par hémorragie.

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« Puis dans les années 1850, la production s'est écroulée. Cette culture très traditionnelle n'est plus parvenue à supplanter les cultures espagnoles et italiennes qui bénéficiaient par ailleurs de ports beaucoup plus développés ». Puis le développement du tourisme et l'urbanisation du littoral qu'il génère entraînent une raréfaction du foncier agricole. « Les producteurs avaient la vie dure. Alors beaucoup ont vendu les parcelles de leurs parents à des milliardaires qui avaient des projets de villégiature ».

Le coup fatal est porté par le climat. Entre les années 1950 et 1990, de violents épisodes de gel et le mal secco, une maladie provoquée par un champignon, réduisent à néant les quelques exploitations qui avaient subsisté. De telle sorte que dans les années 1990, on ne compte plus que quatre producteurs, vendant un citron qui n'a alors « plus de valeur ».

Une notoriété constante

Malgré tout, l'image du citron de Menton garde son éclat. Lorsque le maire de l'époque, Jean-Claude Guibal se rend à Paris, on le sollicite fréquemment. « Il aimait à raconter qu'on lui passait des commandes de 50 tonnes mais qu'il était impossible d'y répondre faute de cultures ». Il veut y remédier en relançant la filière. Les quelques producteurs d'alors le suivent et l'Association pour la promotion du citron de Menton est créée en 2004.

Avec le soutien des cinq communes concernées (Menton, Roquebrune Cap-Martin, Gorbio, Castellar et Sainte-Agnès), de la communauté d'agglomération, du Département et de la Région, on mobilise divers acteurs, on récupère des terrains, on leur redonne vie et on facilite l'installation de jeunes agriculteurs. Et bien sûr, on s'évertue à obtenir une reconnaissance européenne. Plus précisément une Indication géographique protégée qui sera finalement obtenue au terme de dix années d'efforts, en 2015.

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Six ans plus tard, cette consécration semble avoir donné un nouvel élan à la production du citron de Menton. « Cela a été un véritable stimulant qui a donné envie à des particuliers de rejoindre notre démarche. Des personnes ont également acheté des terrains pour la culture ».

Une IGP fertilisante

Ainsi, si l'on comptait 15 producteurs en 2015, ce nombre est passé à 54 en 2020. Des producteurs par ailleurs bien mieux rémunérés. « En 2015, un kilogramme de citrons de Menton coûtait entre 1 et 2 euros. Aujourd'hui, c'est 5-6 euros sans le label, puis entre 7, 5 et 8 euros une fois labellisé et conditionné ». Sur la même période, le volume de production est quant à lui passé de 7 à 50 tonnes. Et il reste une marge de progression puisque, entre temps, 4.000 arbres ont été plantés sur des terrains mis à disposition par les collectivités locales et ne donneront leurs fruits que d'ici quelques années.

Et la dynamique ne se cantonne pas à la production. Nombreux sont les transformateurs à vouloir tirer profit de cette mise en valeur. « Nous avons beaucoup de sollicitations de la part de transformateurs mais l'IGP ne peut leur être accordée que sous certaines conditions très strictes ».  L'idée étant de privilégier la valorisation du fruit frais. Ce que s'évertuent à faire bon nombre de pâtissiers et de chefs cuisiniers, à l'image du Mentonnais Mauro Colagreco, nommé en 2019 meilleur chef du monde et à la tête du restaurant triplement étoilé Mirazur. « Ces personnalités qui parlent de nous et nous soutiennent nous ont beaucoup aidés , reconnaît Stéphane Constantin.

Une coopérative pour structurer la filière et protéger les producteurs

Désormais, l'enjeu est de préparer l'avenir en structurant davantage la filière. Pour avancer sur ce sujet, l'APCM a rejoint le COGESIQO, collectif réunissant plusieurs filières sous signes de qualité ou aspirant à l'être, et coordonné de concert par la Chambre d'agriculture régionale et la Coopération agricole Sud. « On se rend compte que même si on travaille sur des produits différents, on fait face aux mêmes problématiques. Il est donc important de se rapprocher les uns des autres ».

L'Association pour la promotion du citron de Menton souhaite en outre créer une coopérative d'intérêt collectif. « Pour le moment, les producteurs sont trop petits pour gérer la logistique et l'envoi pour l'export. Nous aimerions donc qu'ils se regroupent pour prendre eux-mêmes en charge ces activités » ; des activités pour l'heure confiées par l'Esat (établissement et service d'aide par le travail) Estatitude à Menton, mais que ce dernier n'a pas vocation à poursuivre indéfiniment.

Le projet de coopérative doit être voté à l'occasion d'un prochain conseil communautaire. « Il s'agirait d'une coopérative au bénéficie des producteurs car nous voulons éviter que ceux-ci retombent dans le giron de transformateurs avec une politique de bas prix ».

Des transformateurs pourraient néanmoins être impliqués dans la coopérative, aux côtés des collectivités locales, de mécènes, de restaurateurs, de même que l'Esat partenaire.

Une façon de jouer collectif pour dessiner un nouveau modèle où le producteur serait au centre. Dans l'intérêt de tous.

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