La CCI Nice Côte d’Azur, les soupçons de corruption et l’enjeu électoral

Sévèrement épinglée dans un rapport de l’agence française anti-corruption, la chambre de commerce et d’industrie Nice Côte d’Azur est montrée du doigt pour ne pas avoir su éviter conflits d’intérêts et comportements flirtant avec la légalité. Si elle s’en défend et affirme avoir mis en place désormais les garde-fous nécessaires, enquête il pourrait bien y avoir, ouverte par le Procureur de Nice, saisi par l’association Anticor. Le tout étant à replacer dans un contexte d’élections consulaires à venir dans quelques semaines. Où le président en exercice souhaite poursuivre pour un second mandat mais où des crispations émergent, montrant peut-être la fin d’un certain modèle.
(Crédits : DR)

Plus de 160 pages, 40 observations et 34 recommandations, voilà ce qui résume le rapport produit par l'agence française anti-corruption, rapport de contrôle qui concerne la chambre de commerce et d'industrie Nice Côte d'Azur. Un rapport sensé demeurer confidentiel, mais qui ne l'est pas resté longtemps. Il faut dire que son contenu n'est pas anodin, pointant ce que l'on pourrait appeler des dysfonctionnements ou tout du moins des points qui montrent que l'établissement consulaire n'a pas été vraiment exigeant en matière de prévention ou d'atteintes à la probité ni en matière déontologique.

Une série de faits sont notamment relevés concernant les notes de frais du président de la CCI et de son directeur général. Il est aussi question de marché et de sous-traitance attribués au président de l'Union pour les entreprises 06 (qui regroupe le Medef et la CPME NDLR) ou encore d'un poste attribué au sein d'une filiale de droit privé de la CCI à la fille du directeur général alors en poste... parti depuis, fort discrètement.

Sapin II, la loi qui encadre

Bref, ce que dit le rapport c'est que la CCI n'a pas mis en application ce que préconise la loi Sapin II, loi promulguée en 2016 et qui vise à renforcer la lutte contre la corruption et le trafic d'influence. Elle concerne les grandes entreprises employant au moins 500 salariés avec un chiffre d'affaires atteignant ou supérieur à 100 millions d'euros. Et les obligations que définissent la loi devaient être mises en place avant le 1er juin 2017.

Pour sa défense, la chambre de commerce et d'industrie Nice Côte d'Azur, par la voix de son président Jean-Pierre Savarino, dit ne pas avoir été prévenue de cette obligation et répond avoir depuis le contrôle (effectué en 2019 NDLR) apporté les modifications nécessaires dans son organisation, dont la modification de son règlement intérieur.

Un rapport qui, évidemment, ne laisse pas indifférent. L'association Anticor en premier lieu, qui a produit un signalement auprès du Procureur de la République de Nice, le 26 septembre dernier, étayant dans son courrier les différents points qui portent interrogation.

Mais ce rapport, qui devait donc rester confidentiel, se trouve mis sur la place publique - Mediapart a été le premier média a en dévoiler le contenu - dans un contexte d'élections consulaires à venir. Et le moins que l'on puisse dire c'est que le contexte électoral est tout sauf serein.

Avis de tempête... électorale

Car si le président actuel, Jean-Pierre Savarino, se présente pour un second mandat, ce n'est pas le scénario qui était envisagé il y a encore quelques semaines.

Pour bien comprendre le déroulement des élections consulaires, il faut savoir que c'est l'UPE 06 qui détermine son candidat et la liste qui l'accompagne. Un vote à donc lieu, en interne, afin de désigner le chef de file. Si Jean-Pierre Savarino était le candidat pressenti, une seconde candidature est venue s'ajouter, celle de Fabien Paul, ancien président du tribunal de commerce de Nice, qui, contre toute attente, a remporté, à 3 vois près, l'élection interne. Exit donc Jean-Pierre Savarino. Sauf que la garde à vue de Fabien Paul, intervenue quelques jours plus tard, dans le cadre de l'enquête sur la succession de l'hôtel Negresco, à Nice, a rebattu les cartes. Et replacé Jean-Pierre Savarino dans le jeu, repêché en quelque sorte et donc officiellement le candidat de l'UPE06 pour la présidence de la CCI Nice Côte d'Azur.

Le paysage ne serait cependant pas complet, sans évoquer la candidature considérée comme dissidente de Daniel Sfecci, président de l'UIMM 06, qui se présentera en candidat libre au scrutin consulaire. Un Daniel Sfecci qui fait cavalier seul depuis plusieurs mois et qui défend une autre idée de ce que peut être la CCI.

Au final un contexte général loin d'être simple et loin d'être sain. D'aucuns se questionnent : à qui profite le crime ? Pourquoi ce rapport confidentiel ne l'est pas resté ? La nouvelle candidature de Jean-Pierre Savarino ne semble pas tant faire l'unanimité et la victoire, même éphémère de Fabien Paul lors du scrutin interne, peut être perçue comme la conséquence d'une scission qui pointe. Fabien Paul qui serait bien revenu dans la course, puisque, pour l'heure, il n'est pas mis en examen.

L'autorité de tutelle joue l'apaisement, Anticor persiste

Entre temps, lors de l'Assemblée générale de la CCI Nice Côte d'Azur, qui s'est tenue le 27 septembre dernier, Sophie Gleize, cheffe du service économique de l'Etat en Région (pour rappel, l'autorité de tutelle de la CCI est la Préfecture NDLR) a donné son avis sur le rapport, confirmé que « tout n'était pas dans les clous », mais que « c'est plus un audit qu'un contrôle, c'est un audit de contrôle comme il pourrait y en avoir dans une démarche qualité ». De son côté, le préfet de région Christophe Mirmand, s'est également exprimé via un courrier (que La Tribune a pu consulter) où il dit avoir pris bonne note de la mise en œuvre d'un plan d'actions qui vient répondre aux recommandations émises par l'agence française anti-corruption. Et que le déploiement des mesures qui vont bien feront l'objet d'un suivi attentif de la part des services préfectoraux sur l'exercice 2022.

Il y a en un autre qui se dit prêt à collaborer de façon « constructive, gracieuse et bénévole », c'est Jean-Valéry Desens, le co-référent Anticor, qui a produit le signalement auprès du Procureur de la République de Nice. Jean-Valéry Desens qui explique que ce n'est pas parce que des mesures ont été prises que possible délit il n'y a pas eu. « L'important est d'être factuel » dit-il rappelant que le signalement n'est pas une plainte, qu'il s'appuie sur « des éléments et de forts doutes ». Que probablement, une enquête préliminaire pourrait être ouverte, dès que le procureur aura pris connaissance du signalement - un délai d'une dizaine de jours est normal entre l'envoi d'un signalement et sa prise de connaissance par le procureur. « Nous aurions pu travailler ensemble (avec la CCI NDLR), avoir une démarche proactive », regrette Jean-Valéry Desens. Anticor qui pourrait bien se porter partie civile.

Un tout qui intervient dans une période agitée pour les CCI, de façon générale. On rappelle la baisse des dotations publiques qui oblige les chambres de commerce et d'industrie à revoir leur propre business-modèle et les pousse à la diversification. Ce qu'a précisément fait la CCI Nice Côte d'Azur. Jean-Valéry Desens exhorte au choix d'un nouveau candidat, qui ferait consensus. D'autres poussent à revoir totalement la stratégie de la chambre consulaire. Voire à laisser la place à une nouvelle génération qui monte. Si elles sont généralement peu sous le feu de l'actualité, les prochaines élections, prévues pour se tenir du 27 octobre au 9 novembre, seront probablement extrêmement scrutées... En attendant, un éventuel nouveau rebondissement viendra-t-il changer la donne ?

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