Terre de goût, bâtisseuse de passerelles gourmandes

Ancienne restauratrice, Marianne Eldin crée en 2015 sa propre entreprise installée à Marignane. Le but : mettre en valeur le travail des producteurs locaux auprès des grands chefs du territoire. Deux mondes aux temporalités et au langage différents qu’elle tente de reconnecter. Pour la renommée des uns, pour la pérennité des autres, et pour le bonheur de nos papilles.
(Crédits : DR)

Marianne Eldin est pressée. De retour du fameux Hôtel Dieu Intercontinental, à Marseille, elle doit filer à Fuveau en début d'après-midi. Entre temps, il lui faut faire un crochet par Tomdis, un grossiste de poissons à deux pas de la cathédrale de la Major, « Il faut qu'on règle un problème », dit-elle L'interview se fera sur un coin de table du grossiste. Vite fait bien fait. « C'est une journée-type », sourit la cheffe d'entreprise dont l'énergie semble sans bornes.

De l'énergie, il lui en faut. Sa mission : connecter dans un rayon de 100 kilomètres des producteurs locaux et des chefs soucieux de proposer une carte ancrée dans leur territoire, composée de produits en circuits courts, goûteux et si possible d'exception. « Quand j'ai commencé, en 2015, personne ne faisait ça. Souvent, on me demandait comment s'appelait ce métier ».

Un carnet d'adresses de chefs bien rempli

Si Marianne Eldin peut se lancer dans cette tâche, c'est parce qu'elle dispose d'un carnet d'adresses de chefs bien rempli. Après des études de gestion et un master en sciences économiques qui la conduisent à travailler dans des bureaux parisiens, elle décide de se tourner vers les métiers de bouche.

La vie de bureau, très peu pour elle. A l'inverse, le fourneau c'est son truc. « Petite, quand mes parents recevaient des invités, c'est moins qui faisait la cuisine ». Elle prend la tête de deux restaurants, dont un à Sausset-les-pins où elle reste quinze ans.

Un jour, une société spécialisée dans les produits de la mer de luxe lui faut une proposition. « Ils m'ont demandé de créer une branche dans la restauration. J'ai accepté ». Cela renforce ses liens avec le monde des chefs. Ceux-ci lui soufflent régulièrement leur envie de s'approvisionner localement. « Ils n'avaient pas le temps de s'en occuper. Ils ont des horaires de dingues. Référencer des producteurs prend du temps. En moyenne, pour 6 producteurs rencontrés, je n'en garde qu'un. Pour faire ce travail, les chefs devraient y consacrer deux jours par semaine. Ce n'est pas possible ».

L'idée est en germe. Puis c'est une rencontre avec un vigneron, à l'occasion d'un salon du vin, qui la fera sortir de terre. « Il voulait proposer son vin au chef du Sofitel mais n'arrivait pas à le joindre. C'est très difficile, quand on n'est pas dans leur réseau, d'avoir les chefs en direct ». Alors elle lui propose une autre manière de faire.

Plutôt que de s'acharner à essayer de le joindre, pourquoi ne pas organiser dans sa cave un événement où l'on convierait chefs et producteurs ? Le vigneron se charge des producteurs. Elles des chefs, notamment ceux de l'association des Maîtres cuisiniers de France qu'elle connaît bien - « Ils sont excellents et ne se prennent pas la tête. Ce n'est pas du tout un réseau de copinage ».

Finalement, la soirée réunira 200 personnes. « C'était génial. Les chefs étaient ravis, les producteurs aussi. J'étais certaines qu'il y avait quelque chose à faire ». Elle démissionne et fonde Terre de goût.

Convaincre les producteurs de faire confiance aux restaurateurs

Son premier défi est de constituer un réseau de producteurs suffisamment riche, en nombre comme en diversité de produits proposés. Ce qui n'est pas simple. Car le monde paysan a ses codes. Et une certaine méfiance. « Beaucoup ne voulaient plus travailler avec des restaurants. Comme les consommateurs, les restaurateurs ont été habitués à avoir tout ce qu'ils veulent en permanence, toute l'année. Travailler en local nécessite d'anticiper et de s'adapter aux saisons ». Et lorsqu'il met un produit à sa carte, le restaurateur attend une certaine régularité, pas toujours facile à garantir pour les agriculteurs. « Il a fallu trouver un équilibre ».

Autre point de friction : les délais de paiement. « Parfois, les restaurants les payaient 30 jours après, comme ils le faisaient avec l'industrie agroalimentaire. Le pire, c'est dans les collectivités locales, parfois il faut attendre 90 jours, quand ils n'ont pas perdu la facture ... Pour le producteur, ce n'est pas possible. Moi, j'avance les frais, ce qui leur permet d'être payé le jour de la facture. Et je négocie avec les établissements pour être payée sous quinze jours ou un mois ». Ainsi, Marianne Eldin parvient peu à peu à gagner la confiance des producteurs. « Il aura fallu 4 ans pour constituer un vrai réseau ». Un réseau qui en compte désormais une trentaine, pour une quarantaine de chefs. Tous sont locaux, à l'exception d'un éleveur-charcutier corse.

« On a tendance à oublier que ce sont des mains qui nous nourrissent »

Et si le cœur du métier de Terre de Goût est d'ouvrir aux producteurs les portes des restaurants, l'entreprise s'attelle aussi à les mettre en valeur auprès du grand public au travers d'une série d'événements.

« Au marché de Marignane, il n'y avait plus de producteurs, seulement des revendeurs. Pour les gens qui avaient envie de bien manger, aucune offre n'était proposée. Alors j'en ai parlé au Maire et on a créé « Mon marché a du goût ». » Le principe : huit producteurs sont invités à l'occasion d'un marché se tenant devant la Mairie. A leur côté : un chef qui pioche dans les étals et prépare deux plats sous les yeux des passants. « A la fin, il confie sa recette avec une liste de courses pour que chacun puisse la reproduire chez lui ». Avec un principe clé : les recettes doivent coûter moins d'un euro par personne. Histoire de démontrer que manger bon et sain ne coûte pas plus cher, contrairement à certaines idées reçues.

Plus récemment, l'entreprise a été missionnée pour l'organisation d'ateliers seniors afin de redonner à des personnes âgées le plaisir de cuisiner et de manger. Des ateliers menés conjointement par un chef, un producteur et un nutritionniste.

« Le but de Terre de Goût, c'est de reconnecter les gens à ce qu'il y a dans leur assiette ». De leur rappeler que derrière, il y a des hommes, des femmes. « Sur les réseaux sociaux, on poste beaucoup de photos de mains. Que ce soit celles des producteurs ou des chefs. Car on a tendance à oublier que ce sont des mains qui nous nourrissent ».

Des histoires humaines plein l'assiette

Mais ces dernières années, la donne a changé. « Il y a 6 ans, quand j'ai commencé, il n'y avait que quelques grands chefs qui s'intéressaient à ça. Maintenant, ils sont beaucoup plus nombreux à y être sensibles. Ils ont appris à s'adapter aux contraintes des producteurs. Ils savent qu'on ne peut pas passer commande au dernier moment ». Elle est fière de citer l'exemple du chef de l'Intercontinental qui s'apprête à rencontrer, d'ici quinze jours, une maraîchage avec qui il va tisser un partenariat. « L'an prochain, elle devrait planter une planche de légumes pour son restaurant gastronomique. Or quand un chef met un produit à sa carte, c'est l'assurance de débouchés sur un certain volume pour l'agriculteur. Cela ancre les producteurs dans le territoire, les jeunes notamment. A Marseille, il y a peu de places dans les marchés. Pour ceux qui travaillent pour la restauration, cela peut facilement représenter la moitié de leur chiffre d'affaires ». Sans parler de la visibilité offerte. « Quand le Petit Nice dit sur les réseaux sociaux qu'il se fournit chez tel producteur, tout le monde a envie d'acheter chez lui ».

Après une période covid-19 peu réjouissante pour les restaurateurs et leurs fournisseurs, Marianne Eldin espère relancer peu à peu les événements portés par son entreprise. Pour continuer à faire se parler ces deux mondes qui ne parlent pas toujours la même langue mais on le même amour des produits. Deux mondes qui, après des années de relations impersonnelles contrôlées par l'industrie agroalimentaire, ont plus que jamais, envie de se retrouver. Pour des assiettes uniques qui racontent une histoire. Une histoire d'humains et de terroirs.

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