Jérôme Paillard : « Nous avons renforcé le rôle d’inspirateur du Marché du Film »

Alors que le Festival du Film est beaucoup perçu sous le prisme de la montée des marches et de la compétition officielle, le marché du film, son pendant « business » est celui où tout se passe, où l’on identifie les tendances. Financement plus difficile à l’international, achat plus sélectif, modèles de distribution qui évoluent avec le rôle des plateformes… Autant de sujets comme autant de challenges, ainsi que l’explique le directeur délégué du Marché du film.
(Crédits : DR)

Comment le marché, au sens macro-économique, a-t-il évolué au cours des derniers mois ?

De façon macro-économique, cette pandémie a été essentiellement un accélérateur d'une transformation qui était déjà en germe. Dans le cadre du cinéma, plusieurs sont arrivées en même temps, puisque à la fois la montée en puissance des plateformes a un impact direct sur toute la chaîne de valeur et sur tous les modèles de distribution, donc cela concerne vraiment l'industrie et là aussi il y a eu une accélération. La période de fermeture des cinémas a été une opportunité formidable pour les plateformes et elles s'en sont emparé, de se développer énormément et cela est une tendance qui a perduré. Certains producteurs qui hésitaient vraiment à travailler avec les plateformes ont dû y aller. C'est peut-être un piège, mais finalement, pour l'instant, ils ont pu y trouver leur compte. La crainte c'est d'aller un déséquilibre. La salle demeure essentielle pour la pleine appréciation de pas mal de films mais aussi en termes de positionnement et de promotion des films. Le risque serait que la salle perde cette place-là. Pour l'instant, je ne le crois pas. La réouverture a montré un appétit vraiment fort. Je reste assez confiant sur le rôle de la salle et l'envie que les gens et les jeunes ont et auront de retrouver les films en salle.

Le rythme de production est-il perturbé par le contexte de ces derniers mois ?

Les tournages ont ralenti, mais pas tant que cela et donc on a une situation de films qui sont en projet avancé et qui ont du mal à trouver la fin de leur financement, parce que notamment sur l'international aujourd'hui, il est très difficile de trouver du financement. Et nous avons des films terminés qui demeurent sur l'étagère des distributeurs. La plupart des distributeurs ont entre douze à dix-huit mois de stock à écouler, ce qui veut dire que ce sont des films qui vont sortir un peu vite - on le voit en France, les films sortent pendant deux, trois semaines puis ils disparaissent - ce qui vont donc être amputés d'une partie de leurs revenus salle. Or les revenus salle sont tout de même très importants. Par spectateur, c'est l'entrée salle qui génère le plus de retour pour le producteur et les partenaires du film. Et les distributeurs aujourd'hui sont très sélectifs lorsqu'ils achètent de nouveaux films. Heureusement, ils continuent à acheter. Ils auraient très bien pu ne pas le faire et attendre. Ce n'est pas le cas. Ils ont acheté des films en sélection, des films sur le marché qui n'étaient pas en sélection... Ils ont même acheté des gros projets et parfois d'un montant très important. Donc, cette dynamique n'est pas cassée, elle est plus sélective.

Comment le Marché du Film s'est-il adapté à la situation qui voit une édition se tenir en juillet au lieu du mois de mai ? Quels impacts cela a-til sur l'organisation ?

Sur le plan de l'organisation cette année, nous avons fait mis en place certains dispositifs qui n'auront pas de raison d'être renouvelés mais qui étaient liés au fait que Cannes est très tard cette année, notamment très loin du précédent rendez-vous qui était Berlin, (La Berlinale, habituellement en février, qui s'est tenue en mars cette année NDLR) et pendant les vacances d'été ce qui, pour un certain nombre de pays, était vraiment problématique. Et donc on a décidé, trois semaines avant le Festival de Cannes, de faire des Pré-Cannes Scremings, Soit 5 jours de projection en ligne, uniquement pour les acheteurs, afin de permettre à ceux qui le souhaitaient déjà, de présenter leurs titres. Cela a très bien marché, beaucoup de deals se sont conclus à ce moment-là, y compris sur de gros projets plutôt anglo-saxons. Sur les films terminés, il y a eu une belle activité, peut-être un peu plus centrés sur des films commerciaux, sur des films de genre. Et ici, pendant le Marché, les deals ont continué à se faire, beaucoup centrés sur les films des sélections et puis aussi sur d'autres films autour.

Pouvez-vous tirer un premier bilan de cette édition ?

Nous n'avons pas encore de bilan très précis et puis les vendeurs internationaux - ce sont eux qui font la commercialisation des films - me disaient que maintenant que les choses sont devenues très numériques, les temps de décision sont devenus beaucoup plus longs et les décideurs ont tendance à demander à leurs équipes de voir le film en ligne même s'ils ne sont pas à Cannes, donc cela rallonge un peu les délais. Nous n'avons pas encore une très bonne vision mais on pense que l'on sera globalement, à un volume d'affaires assez proche de celui de l'année dernière, voire un peu au-dessus. On ne va pas retrouver, tout de suite, les niveaux de 2019, à la fois en volume et à la fois en prix. Il y a certains pays où les prix ont tendance à être moins importants qu'avant mais tout cela s'explique facilement si on réfléchit à un modèle d'offre et de demande.

Nous évoquions déjà ensemble en 2019 la diversité des sources de financement. Est-ce une tendance qui se confirme, d'autant plus avec les effets de la crise ?

Le questionnement aujourd'hui qui inquiète pas mal les professionnels - c'est un questionnement davantage sur le futur, un proche futur peut-être - c'est sans doute une diminution voire une raréfaction du financement public. Dans des pays qui étaient très soutenus, cette crainte est réelle. Evidemment aussi pour des raisons économiques, car les trésoreries publiques sont très affectées par la crise. Il est vraisemblable que le secteur culturel et le cinéma en particulier, ne soient pas épargnés par les restrictions budgétaires que l'on va connaître. Dans certains pays, les budgets de production ont déjà un peu diminué car il y avait une pression. Aujourd'hui les budgets de production sont arrivés un peu à leur minimum. Il sera difficile d'aller beaucoup plus bas. Le marché n'est pas en mesure de venir se substituer à une éventuelle baisse du financement public. La question qui va se poser à un moment donné c'est faut-il privilégier la diversité ou est-ce qu'il faut privilégier une concentration sur moins de films mais en leur laissant suffisamment de financement pour mener leurs projets à bout ? Ça va être une vraie question dans les pays où les financements sont assez forts, c'est-à-dire tous les pays à l'exception des Etats-Unis et de la Chine.

Jérôme Paillard

Jérôme Paillard, directeur délégué du Marché du Film

La présence des plateformes - notamment Netflix - a fait débat voici quelques éditions de cela. Désormais, les plateformes sont entrées dans les mœurs...

Oui, c'est entré dans les mœurs. Peut-être que le dernier débat c'est celui de la chronologie. De plus en plus de pays ont réduit les fenêtres, ce qui, pour certains films fait complètement sens. Certains films ont une vie très courte en salle, je trouve dommage de les priver d'un momentum de communication qui fait que, en quelques mois, des gens peuvent le voir. J'ai tout à fait conscience et notamment en France, que derrière, cela pose des problèmes qui impactent aussi le financement. Mais d'un strict point de vue de l'audience je crois vraiment aux vertus de la sortie synchrone ou relativement limitée dans le temps sur l'ensemble des médias, parce que c'est ce qui permet de faire exister le film médiatiquement, que l'effort qui est fait au moment de la sortie du film en salle se répercute aussi sur la possibilité de le voir sur les autres médias. Ceci est un grand débat, qui n'est pas clos, qui a des évolutions successives et dont il sera important de surveiller qu'il n'ait pas d'effet néfaste, mais au contraire, qu'il puisse encourager les spectateurs à aller voir les films dans les salles, si le film est projeté près de chez eux.

Vous accompagnez également les producteurs. Des attentes particulières ont-elles émergé ?

Il y a beaucoup de curiosité. On avait commencé l'an dernier des conférences en ligne. Nous les avons poursuivis cette année, de façon hybride, avec la possibilité d'avoir des personnes dans la salle et des speakers, qui n'étaient pas forcément ici. Nous avons fortement investi, nous avons des moyens de captations multi-caméras, qui donnent une impression immersive et pour les personnes qui ne sont pas présentes, de vraiment participer à l'événement. C'est vrai que dans ces conférences nous avons touché à des tas de sujets, un peu périphériques, on a essayé de donner la possibilité aux producteurs de s'ouvrir à des sujets qu'ils n'auraient peut-être jamais forcément imaginé que ce soit sur des sujets de technologies, de production. Je pense notamment à des sujet scomme le plateau digital où on a à la fois des personnages virtuels, la possibilité de reproduire un visage historique par exemple, sur un acteur réel, ou des décors virtuels. C'est une technologie qui commence à être abordable. Ce n'est pas forcément nouveau mais ce sont des effets spéciaux qui étaient totalement inabordables pour le cinéma indépendant. Il y a désormais des technologies qui le rende abordable au cinéma indépendant. Ce sont de nouvelles pistes qui permettent d'envisager des films que l'on ne pouvait pas imaginer avant ou qu'il était très difficile de faire.

Marché du film 3

Pour en revenir aux plateformes, elles ont aussi été l'objet d'un cycle de conférences spécifiques...

Les plateformes, ce ne sont pas que Netflix, Amazon... Il existe beaucoup de plateformes thématiques ou régionales, qui peuvent être une alternative parfois très intéressante, parce que le travail éditorial qu'elles font et la mise en valeur des films est très différent de ce que fait, par exemple, Netflix, où il n'y a pas de mise en valeur autre que le fait que ça fait déjà beaucoup au box-office. Nous avons un peu renforcé le rôle d'inspirateur du Marché du Film.

Quel est le cinéma ou le pays le plus innovants ?

On voit des films innovants, mais ce n'est pas un pays qui est plus innovant qu'un autre. Tout dépend du réalisateur et encore parfois un réalisateur va être très bon sur un film et moins bon sur un autre. Il y a cependant des pays dont on attend beaucoup qu'ils se réveillent. L'Afrique notamment. Est-ce que l'Afrique va être innovante, je ne sais pas. Je pense que l'Afrique a des choses à dire. Peut-être le documentaire est innovant, dans ses manières de traiter les sujets.

Si l'on fait un peu de prospective, quelle est votre vision d'avenir ?

L'avenir va être beaucoup fait de cela. Le Marché est avant tout une marketplace, c'est là où les professionnels viennent vendre leurs films, mais c'est quelque chose qui se fait de plus en plus de façon dématérialisée. La rencontre physique demeure importante car on peut partager plus facilement ses convictions sur un film, en face à face. La pression commerciale est beaucoup plus facile à générer en face à face. Créer l'émulation entre acheteurs, faire monter les enchères, c'est un peu compliqué à faire en ligne. Mais ce qui est important dans la rencontre à Cannes, c'est ce rôle d'inspiration, presque éducatif, c'est un segment que nous allons développer à l'avenir et sans doute de façon hybride parce que on sait, vraisemblablement, que pour des raisons économiques, environnementales, sanitaires, tout le monde ne va pas voyager autant qu'avant. Et en même temps, ce sont des professionnels qui participent à l'écosystème, donc cette partie hybride va certainement continuer à exister. Peut-être aussi pour les projections. Après, il est important de garder une certaine primauté à Cannes, en physique. Nous allons réfléchir avec les professionnels à la meilleure manière de faire.

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Commentaire 1
à écrit le 15/07/2021 à 17:53
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La pauvreté des films et séries françaises avec des acteurs peu doués sont alarmants.

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