Revenge tourism, digital, slow-food… les défis de l’hôtellerie haut de gamme sur la Côte d’Azur

A Cannes, Nice, Antibes ou encore Saint-Paul de Vence, cette filière se veut optimiste avec le retour espéré de la clientèle étrangère, notamment américaine, qui laisse penser à la reprise d’une certaine “normalité” dont les contours, après 18 mois de crise, ont toutefois évolué vers un “sans-contact” plus décomplexé.
(Crédits : JR Romero HOR)

Sur la Côte d'Azur, l'hôtellerie haut de gamme et de luxe veut croire au renouveau et au retour des touristes étrangers. Certes, depuis la réouverture début mai, c'est le segment domestique qui prédomine. Logiquement. "Nous sommes encore sur un marché national, mais le scénario ne sera pas identique à celui de l'été dernier, assure Yann Gillet, directeur général du Martinez, à Cannes. Nous retrouvons peu à peu nos marchés habituels, notamment européens et américains. Les demandes et réservations montent en puissance pour cet été. On note également des marques d'intérêt de la part de la Russie et du Moyen-Orient. Seule la clientèle asiatique fait exception". On peut sans doute y voir l'effet Festival de Cannes, programmé cette année du 6 au 17 juillet, mais pas que. "On parle beaucoup de ce phénomène de revenge tourism, on en voit les prémices. Les gens veulent voyager plus et surtout mieux, on le constate dans les requêtes avec des demandes de suites et de durée de séjour plus importantes".

Dans ce cadre, "la campagne de vaccination en Europe rassure, en particulier le marché américain", indique Franck Farneti, directeur du Cap d'Antibes Beach Hôtel. La rétrogradation de l'avertissement émis par les autorités américaines pour la France, passant du niveau 4 (ne pas s'y rendre) au niveau 3 (éviter de s'y rendre si possible), est un signe. Ténu mais bienvenu. La réouverture de la ligne New-York Nice par la compagnie Delta à partir du 1er juillet, en est un autre. "Tous les ingrédients sont de nouveau réunis, les restrictions se lèvent progressivement. On devrait retrouver des taux d'occupation très forts en juillet", sourit François-Régis Simon, directeur général du Grand-Hôtel du Cap-Ferrat. Bref, à Nice, à Cannes comme à Antibes, on se dit optimiste sur la saison qui s'engage. Dans la mesure du possible. "Nous sommes confiants, confirme Lionel Servant, dirigeant du Negresco. J'ai le sentiment que l'on revient à une certaine normalité... même si la vraie normalité n'est pas attendue avant avril 2022."

Le sans-contact gagnant

Une normalité qui n'a toutefois plus les mêmes contours. "Les comportements d'achat et les attentes de nos clients ont évolué", reconnaît Franck Farneti. Pour celui qui occupe également la présidence des Relais et Châteaux dans le Sud, "le grand gagnant de cette crise, c'est le sans-contact". Cela se traduit, entre autres, par des considérations sanitaires parfois difficiles à mettre en pratique, comme la demande d'espaces Covid free, qui donneraient la prime aux hôtels de campagne. "En ce début de saison, les hôtels urbains semblent effectivement un peu boudés, les clients sont plutôt en recherche de paradis excentrés", explique Audrey Jorge, directrice du Domaine du Mas de Pierre. Fermé 18 mois à partir de septembre 2019, donc en amont du déclenchement de la pandémie, l'hôtel de Saint-Paul de Vence a connu un vaste plan de transformation - de 42 millions d'euros - pour se métamorphoser en "un resort à la française avec 8 hectares de jardin. Ce qui plaide pour nous." Un constat que partage le dirigeant du Grand-Hôtel du Cap-Ferrat : "Même si l'anxiété liée au Covid est un peu moins présente, les gens ont encore cette appréhension du brassage de ville. Nous avons donc beaucoup travaillé sur des expériences en extérieur que nous sommes en mesure d'apporter grâce aux 7 hectares de verdure qui entourent l'établissement".

Retour aux sources

"C'est une tendance temporaire, somme toute logique, que nous ne pouvons pas combattre, réagit Lionel Servant. À nous, hôtels urbains, de réfléchir et de nous adapter pour capter la clientèle". Le Negresco, dont la façade classée trône le long de la Promenade des Anglais depuis plus d'un siècle, a donc choisi de mettre à contribution ces mois de fermeture pour mener une réflexion stratégique sur son positionnement, qu'il veut plus luxe, avec un focus particulier sur ce qui fait sa légende. "En termes de sécurité sanitaire, nous sommes impeccables, nous avons obtenu les labels français et internationaux qui vont bien, pas besoin d'en rajouter, explique-t-il. Nous voulons en quelque sorte tourner la page Covid en appuyant notre communication sur nos fondamentaux." En l'occurrence, l'art et la gastronomie. Mais pas n'importe laquelle. Celle du circuit court, de préférence. "Dans le cadre de notre politique éco-responsable, nous avons fortement développé le slow-food avec une méthodologie d'achat en zone primaire", relève Lionel Servant. Le Grand-Hôtel du Cap-Ferrat a lui fait l'acquisition d'un potager de 6.000 m2 où des parcours clients seront proposés. "Il s'agit là de répondre à un double enjeu, montrer que l'établissement s'oriente vers une agriculture raisonnée, et permettre la redécouverte de ces zones agricoles, comme un retour aux sources", détaille François-Régis Simon.

Le digital en accéléré

Cependant, pour Yann Gillet, le changement le plus profond est sans nul doute celui de la digitalisation. "En six mois, nous avons fait un pas de dix ans, affirme-t-il. Si les chambres étaient plus ou moins pré-équipées, le taux de rejet restait important. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, on n'appelle plus la conciergerie, on va sur WhatsApp". C'est d'autant plus vrai pour les établissements accueillant une clientèle affaires. Au Grand-Hôtel du Cap-Ferrat, où le segment incentive pèse 10 à 15%, on se prépare à "une hybridation du tourisme d'affaires". Au Martinez, où l'activité congrès prime sur les ailes de saison, on parle même de révolution culturelle. Au point que dans le cadre de la phase 3 de son plan de rénovation, qui mobilise un total de 150 M€ depuis 2017, les grandes draperies et la moquette épaisse de 10 cm de la salle des banquets vont laisser place à des murs digitaux, salles de projection et autres plateaux TV.

Negresco

"Plus que jamais des entrepreneurs"

Au Negresco, toutefois, on veut mettre le numérique à sa juste place. Pour l'hôtelier à la clientèle essentiellement de loisirs, "l'aspect humain doit rester prioritaire, on n'enchante pas un client avec un format digital". Celui-ci, en revanche, pourrait être mieux exploité en interne, avance-t-il, notamment dans le cadre de la recherche de collaborateurs. Un sujet pour tous les hôteliers interrogés, qui s'estiment toutefois mieux lotis que d'autres pans d'activité touristiques car bénéficiant d'une réputation qui plaide pour eux. "Disons que nous avons moins de choix qu'avant", résume Ingrid Farrugia, de l'hôtel Beau Rivage à Nice. Pour qui, finalement, le grand changement qui chamboule le secteur de l'hôtellerie après 18 mois de crise tient dans la façon même d'exercer son métier. "On se fixe des objectifs de remplissage, mais quelle valeur ont-ils quand on a aucune visibilité des contraintes qui nous seront potentiellement imposées ? Nous devons apprendre à raisonner autrement, sans projection, ce qui nous impose d'être encore plus réactif". "Plus que jamais nous sommes des entrepreneurs. Cette dernière année nous avons beaucoup appris et montré notre capacité de résilience et d'adaptabilité, mais n'oublions pas, rappelle Franck Farneti, ce n'est qu'à la fin du bal que l'on paie les musiciens".

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