Michèle Boisvert : « Le développement économique entre le Québec et la France se construit avec les régions »

Déléguée générale du Québec en France depuis 2019, cette économiste de formation, ancienne première vice-présidente au rayonnement à la Caisse des dépôts et des placements du Québec, également en charge des initiatives entreprenariales, a mené sa première visite sur le territoire d’Aix-Marseille. L’objectif étant de développer encore davantage les liens déjà établis, notamment sur des sujets prégnants tels la transition écologique ou l’IA. Et de dire que si le Québec doit être la porte d’entrée naturelle vers les Etats-Unis, la France doit être, pour les entreprises québécoises, celle de l’Europe.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous organisez votre premier déplacement sur le territoire métropolitain d'Aix-Marseille. Quelle est la place des régions dans le renforcement des liens entre le Québec et la France ?

MICHÈLE BOISVERT - Il existe des liens très forts dans tous les secteurs d'activité, développés depuis 60 ans et on m'a demandé de me servir de ces liens-là comme leviers de développement économique. Donc maintenant, chacune de mes missions est teintée d'un parcours économique. J'ai visité plusieurs régions. Pour moi, ilcest important de sortir de Paris, d'aller voir les régions françaises. Car le tissu économique du Québec est un tissu de petites et moyennes entreprises. Paris c'est beaucoup les grands rapports avec le politique. Mais si on veut vraiment parler de développement économique, c'est beaucoup avec les régions que cela se construit.

Quelles sont les thématiques autour desquelles les entreprises aixo-marseillaises et québécoises peuvent collaborer ?

La construction durable, la santé - un pôle dont on nous a dit que le territoire misait beaucoup - ou encore l'intelligence artificielle. Montréal est vraiment l'une des villes en Amérique du Nord les plus fortes, avec un écosystème solide, beaucoup d'universités, les meilleurs chercheurs, notamment en apprentissage profond - ce que l'on appelle le deep learning - dont Yoshua Bengio, un Français mais qui est resté au Québec et qui est l'un des plus grands chercheurs en apprentissage profond. Il s'agit d'avoir des leaders, car les meilleurs attirent les meilleurs. Nous avons également le MILA, un institut qui rassemble des chercheurs en deep learning, avec autour de lui, des entreprises, des startups, des chercheurs universitaires qui font que Montréal s'inscrit comme l'un des pôles les plus importants en intelligence artificielle. Nous nous intéressons aussi beaucoup à l'éthique de l'intelligence artificielle. Montréal a un centre où on s'assure de la gouvernance de l'intelligence artificielle. L'IA peut faire de très grandes choses, mais il est important de l'encadrer. Et là-dessus, Montréal fait vraiment partie des leaders.

Une entente de collaboration a été signée, pour une période de cinq ans, en novembre dernier entre le Grand Port Maritime de Marseille et le port de Montréal. Que peut-on vraiment attendre de ce type de coopération ?

C'est avant tout, beaucoup sur l'innovation, les échanges de meilleures pratiques, le transport durable. Je pense que l'on ne peut plus, quel que soit le secteur, évacuer l'aspect environnement de la question. Donc quand on parle de transport maritime, il faut voir comment on peut essayer de dimuiuer l'empreinte carbone du transport maritime et cela fait partie des sujets de discussion et de recherche de meilleures pratiques entre les deux ports. Il est aussi question, bien sûr, de comment augmenter les échanges commerciaux entre les deux ports. C'est un accord important. Le port de Marseille-Fos est le deuxième port de France, le deuxième de Méditerranée. Le port de Montréal, deuxième port le plus important du Canada est également un port en pleine transformation. Nous partageons par exemple un sujet commun, celui de la formation. Aller chercher les talents, attirer les jeunes autour des métiers portuaires... cela fait partie des sujets de discussion.

Nous venons d'évoquer les promesses de l'intelligence artificielle. Le numérique aussi irrigue des secteurs comme les métiers du maritime, pouvant rendre certains métiers encore plus attractifs aux yeux des jeunes...

Je crois beaucoup aux startups. Il existe chez nous un écosystème de startups très fort, innovant. Dans une autre vie, avant d'être déléguée générale du Québec à Paris, j'étais à la Caisse des dépôts et des placements du Québec et j'étais justement en charge de trouver des initiatives pour permettre l'émergence de nouveaux entrepreneurs. Je crois beaucoup dans la force de l'entreprenariat. Je pense que ce sont les entrepreneurs, avec leur créativité, leur goût du risque, leur envie de développer de nouvelles choses qui sont créateurs de richesse. Quel que soit le secteur, on a besoin d'entrepreneurs. Ce sont eux qui apportent les nouvelles idées, qui souvent font des liens avec d'autres secteurs et nous amènent un peu plus loin. Et en effet, le numérique, l'intelligence artificielle sont devenus transversales.

Quels sont les autres secteurs qui vous semblent être source de rapprochements à effectuer entre Aix-Marseille et le Québec ?

On nous a beaucoup parlé de la santé et nous n'avions pas encore réalisé à quel point la santé est un pôle très important sur votre territoire. Nous avons aussi, au Québec, des entreprises qui justement mêlent l'intelligence artificielle et santé. Nous pourrions faire des échanges importants. La culture est également un vecteur de développement économique très important. En termes d'industries créatives, vous avez de grands studios pour effectuer des tournages et, encore une fois, le Québec pourrait très bien s'aligner pour faire des tournages ici et Montréal est très forte en termes d'effets visuels... il pourrait y avoir des collaborations intéressantes.

Le Québec attire toujours beaucoup les jeunes, ne serait-ce que par son état d'esprit nord-américain et peut-être une sensation de liberté. Les dispositifs mis en place pour attirer les jeunes talents se poursuivent-ils ?

Bien sûr ! Il y a 16.000 étudiants français au Québec. Justement, compte-tenu de ces liens privilégiés entre la France et le Québec, des accords sont conclus par exemple pour la mobilité des étudiants, notamment en ce qui concerne les frais de scolarité, qui permettent à un étudiant français de payer pour ce qui correspond à votre licence, les mêmes frais que les étudiants canadiens. Et pareil pour la maîtrise. C'est un privilège que l'on accorde aux Français parce qu'il y a ce lien historique mais aussi car nous avons la volonté de préserver la langue française et c'est clair que les étudiants qui viennent de France sont accueillis à bras ouverts car on partage la même langue. Cela concerne les étudiants mais aussi l'immigration économique. C'est vrai qu'il y a un appétit pour le Québec qui se sent. Mon rôle est de pérenniser ces liens-là, de les garder, de les ancrer dans la modernité.

Les entreprises du territoire et les entreprises françaises de façon générale choisissent souvent le Québec pour « goûter » à l'état d'esprit américain et tenter ensuite une incursion aux Etats-Unis. Que dites-vous à ces entreprises qui viennent implanter un établissement secondaire ?

C'est exactement le discours que nous tenons. Parmi les structures qui travaillent avec la délégation, il y a Québec Investissement International qui accompagne à la fois les entreprises françaises qui veulent venir au Québec et les entreprises québécoises qui désirent s'implanter en France. Lorsque l'on parle d'exportations, le Québec représente beaucoup le passage pour les Etats-Unis. C'est normal, c'est notre voisin et 70% de nos exportations se font vers les Etats-Unis. On veut continuer à favoriser les Etats-Unis mais on a compris, lors de la présidence de l'ancien président, que la diversification était importante. Et notre premier pays de diversification, c'est la France. Cela fait partie de la politique gouvernementale. Ce que l'on dit c'est que les entreprises québécoises doivent voir la France comme la porte d'entrée vers l'Europe et que les entreprises françaises doivent voir le Québec comme la porte d'entrée du reste du Canada et des Etats-Unis. Parce qu'effectivement, pour une entreprise française c'est venir comprendre l'environnement nord-américain en gardant la même langue et en ayant des valeurs communes. C'est une bonne première étape pour valider son modèle.

Si on se projette à trois ans, comment aimeriez-vous que la coopération avec Aix-Marseille évolue ?

Je veux que les liens soient pérennes, qu'ils soient ancrés dans les grands enjeux. Au niveau économique, nous avons de grandes ambitions, notamment celui d'augmenter les échanges commerciaux entre la France et le Québec. Il y a des entreprises au Québec, que je trouve extraordinaires, qui n'ont pas encore mis le pied en France. Je voudrais que davantage d'entreprises québécoises soient présentes en France, que les liens soient plus fluides, plus forts. Souvent la France et le Québec s'unissent pour porter des sujets à l'international, je voudrais que cela se fasse sur la défense de la langue française, sur la décarbonation, la biodiversité...

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