Marketplaces locales : stop ou encore ?

La crise sanitaire a mis en évidence le besoin urgent des commerçants de proximité d’accélérer leur transition numérique. Parmi les outils disponibles, la marketplace locale qui vise à créer un miroir digital de l’offre commerciale d’un territoire a su tirer son épingle du jeu, apparaissant comme l’une des solutions de revitalisation idoines pour les collectivités azuréennes, nombreuses à y avoir eu recours. Un an après leur lancement, la promesse a-t-elle été tenue ? Ou pas ?
(Crédits : DR)

Lancées à la faveur du premier confinement, les places de marché locales ont-elles déjà du plomb dans l'aile ? A priori, non. Nombreuses sont en effet les collectivités qui, dans un souci de revitalisation de leur territoire, se sont emparées de cette solution numérique pour proposer à leurs commerces de proximité un canal de vente en ligne. Parmi les initiatives mises en place dans les Alpes-Maritimes, citons, de manière non exhaustive, celles des villes de Nice, Nice-eshopping, d'Antibes Juan-les-Pins, Smart-antibesjlp.shopping, de la Colle-sur-Loup, Clickandcollect06480, ou encore de la communauté d'agglomération Cannes Pays de Lérins, ClicknLerins. Les associations aussi s'y mettent, à l'instar des Entrepreneurs de la Vallée des Paillons qui viennent de lancer baieta.shop. Sans oublier les chambres consulaires, en l'occurrence la Chambre régionale des métiers et de l'artisanat et son Artiboutik.

Cette tendance qui se déploie tous azimuts, à l'échelle communale, intercommunale ou régionale, est appelée à accélérer davantage grâce au Plan de numérisation du commerce annoncé par le gouvernement en novembre 2020 et doté d'une enveloppe globale de 120 millions d'euros. Son objectif : accompagner les entreprises et collectivités dans la mise en place d'outils et de services numériques parmi lesquels figurent les plateformes e-commerce. Et pourtant. Si sur le papier tout laisse à penser un succès assuré, qui plus est dans un contexte où l'évolution des comportements d'achat observés durant la crise sanitaire tend à se pérenniser*, la mayonnaise peine à prendre.

Des résultats modestes

Direction Nice, sa Baie des Anges et ses 2.960 commerces**. C'est en mai 2020 qu'a été lancée la plateforme Nice-eshopping par la start-up Wishibam dans le cadre d'un partenariat avec la Ville. Un an plus tard, avec 92 magasins proposant 41.765 produits en ligne, elle affiche des performances assez modestes au regard du potentiel de la capitale azuréenne. "La plateforme niçoise est en effet une des plateformes qui fonctionnent le moins bien même si l'offre produit est satisfaisante", analyse Charlotte Journo-Baur, dirigeante de la jeune pousse dont la technologie est déployée dans plus de 90 communes en France. Parmi elles, Angers et ses 841 commerces***. Mise en place à la même période, la plateforme angevine totalise 155 magasins pour 92.151 produits et présente un chiffre d'affaires 25 fois plus important qu'à Nice. "C'est l'exemple type qui montre que quand une collectivité s'investit et communique, ça fonctionne bien. Sans cet appui local, c'est très difficile. C'est ce qui a manqué à Nice. Malgré les engagements, le travail de visibilité n'a pas été fait, par conséquent personne ne connaît son existence".

A la mairie de Nice, on nuance. "Nous ne pouvons pas privilégier une plateforme plutôt qu'une autre. Nous soutenons toutes les initiatives qui accompagnent les commerçants dans la digitalisation", explique Franck Martin, adjoint au maire délégué au commerce. Qui préfère mettre l'accent sur les barrières qu'il reste à franchir. "Le secteur du commerce n'est qu'au début de son histoire numérique. Il y a encore un gros travail à faire sur les mentalités. Ceux qui sont sur la plateforme étaient pour la plupart déjà engagés dans le processus, et ils en sont contents, pour les autres, le changement qu'impose ce type d'outils, notamment en termes de gestion de stock, leur paraît trop important. Ils ont besoin avant tout d'accompagnement". Aussi la Ville a-t-elle recruté un community manager il y a deux mois pour les aider dans leur transition numérique. Une cinquantaine de commerçants y ont eu recours. Par ailleurs, une aide sous forme de subvention a également été créée pour ceux qui souhaitent se doter d'outils digitaux. 150 dossiers ont à ce jour été instruits pour un budget de 51.000 euros.

Un monde obscur

"Il ne faut pas sous-estimer la fracture numérique, rappelle Delphine Turin, responsable du pôle commerce à la CCI Nice Côte d'Azur. Si la crise sanitaire nous a fait faire un bond de géant en brisant un certain nombre de tabous, il y a toujours des différences de maturité digitale entre commerçants.Pour elle, "le principal frein aujourd'hui tient en la capacité du gérant, souvent seul, à s'approprier ce nouvel outil que certains ont vu comme le Saint Graal grâce auquel ils allaient compenser la perte de chiffre d'affaires due aux fermetures administratives. Or, ce n'est pas l'objectif. Une marketplace, c'est un canal de distribution qui s'ajoute aux points de vente physiques, aux réseaux sociaux, aux sites internet, aux sites de géolocalisation. Nous avons fait beaucoup de diagnostics ces derniers mois afin de préconiser aux commerçants l'outil qui va bien en fonction de leur cible, de leurs produits, de leur stratégie, de leur image, et ce n'est pas toujours la marketplace ni le site internet qui ressortent comme le point d'entrée le plus adapté."

"Mettons-nous à la place du commerçant éloigné du numérique, complète Grégory Biondo. Il arrive dans un monde obscur où tout lui paraît complexe car il y a un gap entre ce qu'un concepteur de solutions peut considérer comme simple et ce que le commerçant va pouvoir absorber. C'est un vrai enjeu". Sceptique sur la capacité du micro-e-commerce à percer véritablement, trop peu armé face aux géants du numérique, cet ancien consultant en stratégie digitale et dirigeant de l'agence de marketing mobile cannoise Blue Beacon mise plutôt sur le phygital. Ou quand le numérique se met au service du physique. Dans sa caisse à outils, la solution de diffusion géolocalisée d'offres et de bons plans Shoppeer, expérimentée depuis un an à Cannes et Mandelieu. Son bilan ? Encourageant, affirme-t-il : "650 commerçants se sont inscrits, ce qui représente 22% des commerçants cibles. Ils ont publié plus de 2.000 offres de promotion auprès de 15.000 utilisateurs. En tout, l'app a généré plus de 500 visites en boutique dans une période pourtant peu propice aux flux". L'illustration, selon lui, que les commerces jouent le jeu quand celui-ci reste simple et qu'il est encouragé par la ville. "Sans cela, la valeur perçue des solutions numériques par les commerçants demeure extrêmement faible". Et l'on en revient à la place centrale qu'occupent les collectivités.

Le danger du déceptif

Restons à Cannes, justement, sa Croisette et ses 1.293 commerces**. Isabelle de Saint Léger y est manager du commerce et gère la place de marché locale ClicknLerins développée par la société Pertimm dans le cadre d'un mécénat d'entreprise. Active depuis décembre 2020, elle propose à ce jour 4.500 produits issus de 35 magasins et revendique un panier moyen de 110 euros. Mi-avril, une campagne de recrutement de commerçants a été lancée visant l'ensemble des commerces de la communauté d'agglomération, marques comprises. "Nous avons conscience que tous n'ont pas vocation à avoir une boutique en ligne, mais tous ont besoin d'être visibles sur internet. C'est pour cela que nous soutenons des solutions intermédiaires comme Shoppeer, complémentaire à notre plateforme e-commerce que nous travaillons à faire évoluer en permanence dans le but de lever un maximum de freins". Et ainsi convaincre les plus réticents, comme ceux qui rejettent le paiement en ligne par exemple, au travers d'une solution à venir d'e-réservation.

La communication auprès des consommateurs viendra dans un second temps, assure-t-elle, une fois l'offre enrichie et les périodes de restrictions passées. "Nous souhaitons déconnecter la plateforme ClicknLerins de la séquence Covid. Nous proposons à nos commerçants un nouveau service pérenne qui a vocation à s'inscrire dans un temps long, et non une réponse ponctuelle à la crise sanitaire qui perdrait de son intérêt une fois celle-ci révolue. Nous ne voulons pas créer de déceptif, ni d'un côté, ni de l'autre".

"C'est en effet le plus grand danger qui nous guette", abonde Charlotte Journo-Baur pour qui l'échec des initiatives locales ouvrirait un peu plus encore la porte aux grandes plateformes internationales, type Amazon et consorts. Une option qu'envisage d'actionner à terme la Fédération des associations des commerçants et artisans de Cagnes-sur-Mer. Particulièrement engagée dans la transition numérique de ses adhérents, elle a lancé il y a quelques années déjà une plateforme de référencement baptisée EspritCagnes, à laquelle elle vient d'ajouter une boutique en ligne. "L'idée serait de se rattacher à ces grandes maketplaces françaises et internationales pour bénéficier de leur aura positive. Elles sont bien plus attractives que le site lambda, explique son président Jean-Michel Cloppet. On sortirait alors de notre modèle de référencement, mais avant cela le chemin à parcourir est encore long. Il nous faut poursuivre notre travail d'évangélisation et nos actions pédagogiques."

Alors, quel avenir pour les places de marché locales ? "Certaines y arriveront, d'autres, plus nombreuses, disparaitront, faute d'actions et de moyens dédiés", prédit Delphine Turin. Qui reste toutefois optimiste pour les commerçants qui franchiront le pas de la numérisation, d'une manière ou d'une autre. "Nous sommes dans un moment particulier où la question de l'éco-responsabilité des achats et du circuit court s'invite pleinement dans le plan de relance économique". Une formidable carte à jouer donc, qu'il serait dommage de transformer en un malheureux acte manqué.

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