Dans la Roya, la difficile relance économique : “On est sur le fil, on vit au jour le jour”

DOSSIER - EPISODE 1 - Sept mois après, les traces de la tempête Alex restent prégnantes sur la vie économique dans la vallée de la Roya. A l’image de Tende, isolé par l’effondrement des accès routiers, où l’activité s’est réduite à peau de chagrin. Fragilisées mais résilientes, les entreprises tentent toutefois de garder le cap, bon an mal an, malgré l’incertitude et des mesures d’aides spécifiques qui se font toujours attendre.
(Crédits : Côte d'Azur France/Georges Veran)

A Tende, dans la vallée sinistrée de la Roya, la vie s'étire au gré des convois. Au nombre de deux, puis trois par jour, ils ont rythmé le quotidien du village azuréen jusqu'à la mise en place, mi-mars, d'une circulation alternée la nuit et le week-end. Une petite bouffée d'oxygène pour les habitants du bourg semi-isolé, soumis à rude épreuve depuis le passage d'Alex. C'était il y a plus de sept mois, le 2 octobre 2020. La tempête, qui a fait 10 morts et 8 disparus, s'abattait sur les hauteurs des Alpes-Maritimes. Trois vallées en ont fait les frais - la Tinée, la Vésubie et la Roya - et au regard des estimations avancées pour leur reconstruction, proches du milliard d'euros, on en mesure le coût pour ceux qui y vivent et y travaillent.

"Depuis la tempête, on est sur le fil, on vit au jour le jour", témoigne Sophie Cottalorda, dirigeante de l'entreprise familiale de maçonnerie générale et de gros œuvre en bâtiment Guido, treize salariés pour un chiffre d'affaires annuel compris entre 1 et 1,2 million d'euros. Elle, comme beaucoup d'autres dans la Roya, a vu son activité stoppée nette, non pas du fait de la destruction de son outil de production, comme cela a été le cas pour 40% du millier d'entreprises touchées, toutes vallées confondues, mais par l'effondrement des routes. Plus d'accès. Ni par le nord, ni par le sud. Pas de déplacement donc, ni d'approvisionnement possible. Bref, plus d'activité ou si peu, celle-ci intervenant "de manière marginale, localement, avec les moyens du bord et les matériaux déjà stockés", raconte-t-elle.

La réouverture sous contrainte de la route départementale 6204 reliant la vallée au littoral, suivie par la mise en place par la Carf (Communauté d'Agglomération de la Riviera Française) d'un système d'approvisionnement depuis Breil-sur-Roya, a donc permis de retrouver un semblant de vie économique, moyennant "une énergie folle". "On est mobilisé par des difficultés permanentes, des problématiques de déplacement et d'approvisionnement auxquelles on ne pensait jamais et que l'on doit désormais résoudre au quotidien." A l'image de cet éboulement d'il y a quelques semaines qui a bloqué la dirigeante à son domicile, hors de Tende, la veille de l'arrivée à échéance d'un appel d'offres. "Cela fait partie des aléas post-Alex".

Pas de retour à la normal avant fin 2022

Il faut dire qu'avec 180 brèches identifiées à ce jour, la RD 6204 résume à elle seule l'ampleur des dégâts en termes d'infrastructures routières provoqués par Alex (au total, 35 kilomètres de voirie départementale et 10 ponts ont été détruits). La moitié du tracé est aujourd'hui en chantier pour un budget de 140 millions d'euros. Soit 50% de l'enveloppe consacrée aux 143 opérations programmées pour reconstruire la vallée de la Roya. Des travaux qui mobilisent, selon Guillaume Chauvin, chargé de la reconstruction pour le CD06, "près de 200 ouvriers chaque jour" avec un objectif : "sécuriser toutes les voies d'accès entre Tende et la frontière italienne pour lever les restrictions et convois à l'automne afin que la vie reprenne aussi normalement que possible, et envisager plus sereinement l'achèvement des travaux, attendu à la fin 2022 avec la reconstruction des ponts du Cairos, d'Ambo, des 14 Arches et du Bourg Neuf. Les premiers appels d'offres seront lancés ce printemps ".

Un calendrier qui, à mesure qu'il se précise, inquiète les professionnels de Tende, en particulier ceux qui dépendent du tourisme. Parmi eux, Luc Fiorini, dirigeant des magasins de sports de montagne Stella Alpina, basés à Tende et à Castérino. Directeur de l'ESF locale pendant la saison froide, l'homme de 56 ans organise l'été des excursions en 4x4 dans la vallée des Merveilles. Pour lui, sans accès, point de salut. Or, le hameau de Castérino, haut lieu touristique et point de départ vers le site archéologique et ses gravures rupestres, reste toujours coupé du monde et l'espoir de l'ouverture prochaine d'une piste praticable s'amenuise. "J'ai fait un hiver blanc, je m'attends à faire de même cet été. Il ne faut pas rêver, les touristes ne viendront pas. C'est bien trop compliqué". Quant au train, dont la remise en service est intervenue en mai, "il ne correspond pas à notre type de clientèle, celle qui reste de deux jours à une semaine".

Interdépendants les uns des autres

A quelques encablures de là, chez la Fée Capeline, Emilie Oliver partage cette appréhension. Feutrière chapelière, elle fait partie de ces gardiens du temple sans lesquels les savoir-faire ancestraux disparaîtraient, et dont tout un pan de l'activité est lié à la vente directe. "Je suis très inquiète, admet-elle. Si les locaux nous ont fait vivre un peu à Noël, sans visite cet été, je ne vais pas pouvoir garder la personne que je viens de prendre en formation et qui devait déboucher sur un contrat. Faute de contacts avec l'extérieur, ce poste est en danger, tout comme mon réseau et ma notoriété d'ailleurs".

Pourtant, ni le premier, ni la seconde n'a l'intention de baisser les bras. Pour compenser la baisse de ses ventes, l'artisan d'art vient d'inaugurer son site internet marchand et travaille désormais à élargir sa gamme de produits. Luc Fiorini, lui, s'est engagé dans l'acquisition d'un nouveau local pour en faire un établissement hybride, mi-magasin de sport, mi-salon de thé. "Un genre de coffee-shop qui devrait me permettre de tenir les trois à quatre ans à venir. Les articles de sport seuls n'auraient pas suffi, alors qu'avec un peu de snacking, c'est jouable. C'est un investissement important au regard du peu de visibilité que nous avons, mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour rebondir". Et ainsi rester sur le territoire. Car, insiste Sophie Cottalorda, "dans les vallées comme la nôtre, nous sommes tous interdépendants les uns des autres. Nous n'avons pas intérêt à ce qu'il y en ait un qui flanche, sinon c'est l'effet boule de neige avec un impact important sur la vie économique du village". Tous craignent le spectre de la désertification pour cette vallée de 6.000 âmes, amputée de plusieurs centaines d'entre-elles les jours suivants la tempête, et se cherchent, en réponse, une nouvelle attractivité.

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