Comment les universités régionales ont ouvert leurs portes au monde de l’entreprise

En 2007, la loi LRU oblige les universités à diversifier leurs sources de financement. Elles se tournent alors vers les entreprises avec qui elles multiplient les collaborations et autres partenariats pouvant donner lieu à des revenus de licences ou au financement de thèses. Pour ce, elles s’appuient sur le réseau de leurs anciens étudiants, sur des ressources humaines, mais aussi sur les Satt et incubateurs qui jouent un rôle de passerelles entre les laboratoires et le marché.
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Patricia Merdy est enseignante-chercheuse à l'Université de Toulon. Son domaine d'investigation, c'est la chimie de l'environnement, et notamment la pollution en mer qu'elle tente de détecter dans le cadre d'un projet mené en partenariat avec le groupe Veolia.

A l'université Côte d'Azur, Xavier Fernandez cumule les casquettes de professeur de chimie, de vice-président en charge de l'innovation et de la valorisation de la recherche et de directeur scientifique de l'entreprise de cosmétiques Nissactive.

Depuis plusieurs années, le CV d'un nombre croissant d'enseignants-chercheurs s'étoffe, ajoutant aux publications scientifiques et directions de thèses d'autres expériences liées au monde de l'entreprise. La création de startups à l'université, les partenariats public-privé, l'organisation de chaires industrielles conduites par des pointures de la recherche publique sont ainsi devenues monnaie courante dans la vie des universités du territoire. Bien loin le temps où ces deux mondes semblaient fonctionner en silo.

Un contexte juridique adéquat

La première pierre de ce changement de paradigme est posée en 1999 avec la loi sur l'innovation et la recherche initiée par Claude Allègre. « Cette loi a été une révolution », se rappelle Marc Barret, directeur des opérations d'innovation dans le cadre du programme Innovation Idex mené dans plusieurs structures de recherche et de formation dont l'Université Côte d'Azur. « Elle a officialisé et rendu propre et bien le fait que des chercheurs aient des liens avec des entreprises ». Liens qui n'ont pas attendu la loi pour exister mais qui étaient jusqu'alors mal-vus et donc plutôt dissimulés. « La loi a permis de mettre au clair les contrats de transfert de technologies pour que les relations soient gagnant-gagnant, que les entreprises gagnent de l'argent sans pour autant piller la recherche publique ».

La loi Allègre offre une marge de liberté pour les chercheurs et les universités qui voudraient s'ouvrir au monde de l'entreprise. Puis cette ouverture devient une nécessité au moment de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) portée par Valérie Pécresse en 2007. « Il y a eu un gros mouvement social contre cette loi qui consiste en fait en un désengagement financier de l'État. Elle a rendu les universités plus autonomes, notamment en matière budgétaires. Cela les a obligées à diversifier leurs sources de financement », explique Patricia Merdy, vice-présidente de l'université de Toulon en charge de la valorisation de la recherche.

Pour financer son fonctionnement, l'université a alors plusieurs options. Augmenter les frais d'inscription au détriment des valeurs d'universalisme qu'elle porte, peu s'y résolvent. Développer l'alternance est une autre piste, d'autant que ce type de formation en lien avec le monde de l'entreprise offre des débouchés d'insertion intéressants pour les étudiants.

Mais il faut aller plus loin encore et s'ouvrir plus largement au monde socio-économique. Pour être compétitives, les entreprises doivent bénéficier des savoirs qui leur permettront d'être à la pointe des technologies. Ce dont disposent les chercheurs, dont les innovations restent trop souvent confinées dans leur laboratoire. L'université peut y trouver son compte au travers de revenus de licences ou encore de financement de thèses.

Les étudiants : passerelles vers les industriels

Pour mener à bien cette stratégie d'ouverture, les universités d'Aix-Marseille, Avignon, Toulon et Côte d'Azur peuvent déjà s'appuyer sur leurs étudiants. « A Aix-Marseille, nous avons 10.000 nouveaux diplômés chaque année. Ils constituent une passerelle vers les industriels pour qui ils travaillent », observe Romain Laffont, vice-président en charge du partenariat avec le monde socio-économique au sein d'AMU.

L'alternance est aussi un levier intéressant pour entretenir des relations avec les entreprises, de même que plusieurs moments clés dans le parcours des étudiants. « Depuis la loi LRU, on a de plus en plus d'étudiants qui réalisent leur mémoire de recherche en stage dans une entreprise, et beaucoup moins au sein de l'université », observe Sylvie Taccola-Lapierre, membre de la Direction formation professionnelle et alternance de l'université de Toulon. Ces stages de 6 mois aboutissent parfois à des thèses Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) qui subventionnent l'embauche par une entreprise d'un doctorant. « Cela favorise les collaborations avec le monde privé ».

Une stratégie qui se traduit en ressources humaines

Mais au-delà de cette ressource que représentent les étudiants, les universités ont également tenu à se doter de ressources humaines en mesure d'engager cette démarche. En 2016, l'Université d'Aix-Marseille se dote ainsi d'une direction des partenariats socio-économiques composée de douze personnes qui s'attellent à fluidifier les échanges, à « ouvrir les portes de l'université pour que nos partenaires trouvent ce dont ils ont besoin », résume Romain Laffont.

Même objectif à l'Université d'Avignon qui entame ce virage dès 2012, en nommant notamment un vice-président en charge du développement économique et de la valorisation. Mission que remplit actuellement Philippe Obert : « Chez nous, la valorisation de la recherche est pilotée par un comité local de valorisation qui prend des décisions par rapport aux projets qui remontent des laboratoires et détecte les inventions valorisables - car les chercheurs ne sont pas toujours conscients du potentiel commercial de leurs découvertes ».

A l'Université de Côte d'Azur, Xavier Fernandez, vice-président en charge de l'innovation et la valorisation de la recherche veille à « promouvoir l'innovation de l'université, qu'elle vienne de nos unités ou que ce soit en partenariat avec d'autres acteurs ». Son collègue Laurent Giroux s'occupe quant à lui des relations avec les entreprises et de l'entrepreneuriat.

SATT et incubateurs en appui

Pour mener à bien leurs missions, ces équipes s'appuient sur tout un panel d'outils et d'acteurs visant à accompagner l'autonomie des universités et la valorisation de la recherche. Parmi eux, les Sociétés d'accélération du transfert de technologie, ou Satt (ici, la Satt Sud-Est), qui jouent un rôle de passerelle avec le monde de l'entreprise. « On leur confie tout le travail de transfert de technologie pour que des projets ayant un niveau de maturité très faible mûrissent et donnent lieu à des prototypes qui puissent intéresser les industriels », précise Philippe Obbert. Le passage vers le marché peut être porté par un chercheur lui-même (création d'entreprise) ou par une entreprise partenaire, qu'il s'agisse d'une startup, d'une PME ou d'un grand groupe. Les Satt veillent par ailleurs à ce que les relations soient équitables entre les différents acteurs.

Les universités s'appuient en outre sur les incubateurs, qui accompagnent le cheminement des innovations du laboratoire au marché, à l'image d'Impulse, fondé par les universités d'Aix-Marseille et d'Avignon. Ou encore l'Incubateur PACA Est qui œuvre dans les Alpes-Maritimes et le Var.

Grâce à ce maillage et à ces structures (Satt, incubateurs) où se croisent une grande diversité d'acteurs, les universités étoffent leur réseau, renforçant leurs échanges avec les entreprises mais aussi avec les collectivités locales. De plus en plus, elles veulent s'affirmer dans cet écosystème, et montrer qu'elles sont des actrices à part entière du développement économique.

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