Si le monde aéroportuaire est, depuis le début de la crise sanitaire, dans un rythme ralenti, l'annonce de la possible fermeture des bases régionales Air France à Nice, Marseille et Toulouse a eu l'effet d'un coup de tonnerre. Parce que, bien sûr, le tout a un impact sur l'économie.
La nouvelle n'a d'ailleurs pas laissé les acteurs économiques indifférents très longtemps. Dans la foulée de la montée au créneau des salariés et des syndicats, le président de la Région Sud, Renaud Muselier et le président de la Métropole Nice Côte d'Azur, maire de Nice, Christian Estrosi, ont fait parvenir un courrier commun à Anne Rigail, demandant à la directrice générale d'Air France de pouvoir échanger sur les chiffres, les décisions prévues et donc les conséquences qui en découlent. Courrier, assurait-on du côté de la compagnie, qui n'était pas encore parvenu jusqu'à la principale intéressée hier en fin d'après-midi.
Ce matin, c'est David Lisnard, avec sa casquette de président du CRT Côte d'Azur qui, à son tour, expliquait dans un courrier à nouveau à Anne Rigail, que « cette stratégie de recentralisation sur Paris et le sacrifice des emplois en province est inacceptable pour la deuxième région touristique de France » et constitue un mauvais signal au moment où on prépare relance économique et touristique.
Outre les 210 salariés concernés si l'on comptabilise les bases de Nice - 80 personnes - et Marseille - 130 personnes, soit 329 salariés au total en y englobant Toulouse-Blagnac, c'est l'économie locale qui s'en trouve affaiblie. Pour plusieurs raisons.
Transavia en « remplacement » d'Air France ?
L'une des craintes pointées est la conséquence que ces fermetures auraient sur le nombre de rotations effectuées par Air France. En résumé : les vols seraient-ils réduits ? Non affirme-t-on du côté de la compagnie aérienne, les fermetures qui sont présentées comme « envisagées mais pas annoncées », n'auraient pas d'impact ni sur la fréquence, ni sur le nombre de sièges proposés. Un sujet qui n'est pas envisagé du tout de la même façon du côté des syndicats. Car comme l'explique Stéphane Pasqualini, délégué syndical FO, ce qui serait fortement susceptible de se produire, c'est de voir Transavia, la compagnie low-cost appartenant au même groupe, venir se « substituer » à Air France. Une crainte que confirme une source proche du dossier à La Tribune. « Les pilotes (Air France NDLR) ont négocié des conditions spécifiques pour un retour à Paris ou pour aller voler chez Transavia. Transavia qui embauche, côté personnel naviguant commerciaux, des jeunes, payés très peu ». « C'est une façon de nous pousser vers la sortie », renchérit Stéphane Pasqualini. Qui rappelle que c'est précisément ce schéma qui vient de se produire à l'aéroport de Toulon-Hyères (comme à Montpellier) où sitôt le départ d'Air France effectif, c'est Transavia qui s'est positionnée.
Stéphane Pasqualini qui a déposé, par ailleurs, une procédure DGI (Danger Grave et Imminent NDLR), tant l'annonce des fermetures des bases régionales et de leurs conséquences perturbent les salariés concernés. Des salariés qui, s'ils n'ont pas d'autre choix que de repartir à Paris, vont devoir laisser à Nice et Marseille, une vie organisée depuis plus de dix ans, les bases étant opérationnelles depuis 2011 à Marseille et 2012 à Nice. Une conséquence économique aussi en termes démographique qui s'ajoute à une autre conséquence économique, celle de l'attractivité du territoire.
Ne pas freiner les décisions d'investissements
Et c'est bien cela, la principale crainte des acteurs économiques. Que la fermeture des bases ait une incidence fort négative sur l'image et sur le potentiel de développement aussi bien de la Côte d'Azur que des Bouches-du-Rhône. Déjà l'an dernier, le patron des patrons des Alpes-Maritimes, le président de l'UPE06, Philippe Renaudi, s'était agacé et l'avait fait savoir, devant le manque de vols Air-France vers Paris. La présence de la compagnie, au sein des aéroports, est un gage de valorisation du tissu économique local. C'est cela que pointent les acteurs économiques. Air France qui se retire des régions, alors même que l'on parle de relance et de la place des territoires dans le redémarrage de l'économie, c'est le plus mauvais signal qui pourrait être envoyés aux investisseurs. Cela, les agences de développement économique le savent bien. La présence d'une plateforme aéroportuaire - c'est peut-être encore plus vrai à Nice, qui est à 5 heures de train de la Capitale - est un atout majeur, central, dans les décisions d'implantations. Comme le dit aussi Stéphane Pasqualini, « Air France a une culture d'entreprise, un culte de la sécurité », qui convient aux chefs d'entreprises habitués des vols domestiques. Ce que dénoncent aussi salariés et syndicats, c'est le manque de vision de la direction générale de l'entreprise, qui, depuis l'ouverture des bases, n'a pas su appliquer une véritable stratégie de conquête depuis les régions vers des destinations « logiques » pour les territoires. « Il existe un véritable potentiel économique au départ des régions. Marseille, par exemple, dispose d'un fort potentiel vers les pays d'Afrique ou d'Amérique du Sud. Mais le choix des destinations au départ des provinces s'est fait sans cohérence, comme un vol vers Tel Aviv un vendredi alors que c'est jour de shabbat. Ou un Marseille-Barcelone avec retour le dimanche matin... Avec les bases régionales, Air France disposait d'un bijou, elle l'a traité comme un caillou », s'agace Stéphane Pasqualini.
Air France comme Air Canada ?
Outre l'aspect impact sur le monde entreprenarial, l'impact sur le tourisme n'est pas davantage anodin. C'est ce que rappelle le CRT Côte d'Azur dans sa missive à Anne Rigail, indiquant les 11 millions de touristes venus en 2019, les 150 000 emplois directs et indirects liés au secteur. Et la campagne de promotion - dans le cadre de la relance - organisée en coopération avec... Air France pour soutenir la reprise des vols et qui doit démarrer mi-mai. Un timing peu approprié pour annoncer un retrait du territoire.
En revanche, l'implantation d'Air France à Sophia-Antipolis, où la compagnie dispose d'un centre informatique qui accueille 470 salariés, est préservée, assure-t-on du côté du groupe.
Pour les salariés et les syndicats, le sujet est encore plus large que la fermeture des bases régionales. « Il suffit de considérer ce que Ben Smith (directeur général d'Air-France-KLM NDLR) a fait avec Air Canada et RED, la compagnie low-cost ». Un copié/collé assure une source proche du dossier à La Tribune.
Le bras de fer entre Air-France et les acteurs économiques ne semble être qu'à ses prémices. Car, dans la balance, pèsent les 7 milliards d'euros obtenus de l'État par le biais de prêts directs ou garantis dans le cadre de la crise. Un sujet régional qui prend toute son ampleur nationale...
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