Entre les Français et Amazon, c'est un peu « je t'aime moi non plus ». Et c'est le second confinement qui a joué le rôle de révélateur de ce sentiment ambivalent. Plus exactement, le sujet des commerces non-essentiels et des librairies, a mû la France et les Français (presque) comme un seul homme contre le géant du commerce électronique, mettant dans un même panier, Amazon et le e-commerce, montrant du doigt le « vilain » numérique.
De désobséder
« Il faut de désobséder des GAFA » commente Nicolas Bouzou. L'économiste, présent notamment à Nice le 5 octobre dernier lors de la Matinée économique organisée par La Tribune exhorte plutôt à faire autrement que de la résistance inutile et à mettre toute l'énergie dans des sujets nouveaux.
Les « Stop Amazon » et autres initiatives nées en région, sont-elles alors de bonnes initiatives ? « Ce n'est plus le sujet », assure Nicolas Bouzou. « Le sujet, c'est comment construire d'autres géants et comme se servir des GAFA à notre avantage ».
Autrement dit, rien ne sert plus de courir après l'hégémonie numérique, l'avance des big américains étant bien trop grande pour la concurrencer avec une chance de pouvoir l'égaler. Et ce que l'on a cru pouvoir faire avec le moteur de recherche Qwant, l'imaginant capable de concurrencer Google, « il ne faut pas le reproduire avec l'e-commerce », prévient Nicolas Bouzou. D'ailleurs, ce n'est pas la prime de 500 € annoncée par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, pour aider les commerçants à créer leur propre site d'e-commerce qui va aider à cela. Ce « saupoudrage » considère Nicolas Bouzou n'est pas de nature à être à la hauteur de l'enjeu. « Faire du e-commerce en propre, sans passer par une grande plateforme, exige d'être pensé, avec une stratégie ».
La preuve, c'est « le succès de l'enseigne Leclerc sur le drive. Ce succès a été rendu possible par la mise en place de process industrialisés et par une stratégie pensée depuis longtemps », indique Nicolas Bouzou, qui tient également à rappeler que l'e-commerce et le click and collect, représentent, au global, 20 à 25 % de chiffre d'affaires. « Ce qui n'est pas suffisant » pour un business modèle pérenne.
« Amazon est génial et c'est le problème »
Et l'économiste de rappeler quelques principes... économiques. « Nous avons tendance à oublier que les plateformes des géants américains sont d'autant plus efficaces qu'elles sont grandes. Les GAFA fonctionnent avec des rendements croissants. Plus ils sont grands, plus ils sont efficaces. Quand Amazon grandit, elle devient plus efficace et les consommateurs aiment encore plus Amazon. Ils ne le disent pas, car on ne peut pas le dire en France. Si Amazon était le diable, personne ne l'utiliserait. Amazon, c'est génial, c'est ça qui est le problème ».
C'est même par ailleurs l'exemple d'une stratégie parfaitement huilée. « Sur les produits manufacturés, le service est exemplaire, doublée d'une logistique qui est une vraie machine de guerre, de bout en bout, extrêmement technologique avec l'usage de robots et de drones. Et qui internalisée avec sa propre flotte d'avions (une vingtaine NDLR) pour livrer. C'est une intégration verticale de la logistique très poussée ».
Le débat Amazon ou pas est même pour Nicolas Bouzou assez confus. « Les GAFA sont perçus comme le diable car ils ne payent pas leurs impôts en France. Bien sûr, si Amazon payait ses impôts en France, cela serait plus juste pour l'équité fiscale, pour les Etats. Mais le débat fiscal ne doit pas tout emporter. Tout le débat ne peut pas se limiter à la fiscalité ».
Ne pas singer
La vraie question, donc c'est plutôt, comment profiter des GAFA. Comment tirer profit de la situation ? « Faisons du judo avec Amazon plutôt que de s'opposer à cette entreprise qui apporte satisfaction aux consommateurs. Sensibilisons les artisans au fait qu'ils peuvent aussi utiliser cette plateforme pour faire de la distribution dans cette période compliquée ».
La réelle opportunité, la vraie réponse à une compétitivité française renforcée, elle n'est donc pas dans la poursuite d'Amazon et consorts. C'est « comment on laisse se développer de grandes entreprises du numérique ? Pas en tentant de singer Amazon. Il faut un marché unique du numérique, il faut des politiques industrielles. Notre chance c'est que l'on a un rythme de destruction créatrice très rapide. Rattraper les GAFA, c'est mort, tant pis, mais il existe des opportunité, des portes d'entrée technologiques : la blockchain, les ordinateurs quantiques, l'hydrogène... Nous avons encore des possibilités de prendre le leadership ».
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