Florent Noiray : "On ne peut pas couler du béton en télétravail"

Il est l'un des dirigeants du groupe familial de BTP Jean Spada, installé à Nice. Représentant de cette nouvelle génération d'entrepreneurs, il porte sur le monde d'après un regard acéré et bienveillant à la fois, notant les défis, les difficultés mais espérant surtout que le renouveau soit réel et impactant.
(Crédits : DR)

La Tribune - La crise a mis en avant le besoin de collaborer encore plus en proximité. Que vous inspire cet appel au sourcing local ?

Florent Noiray - Des entreprises aux zadistes, en passant par ceux qui prônent de nouveaux systèmes écologiques avec des circuits courts et de l'agriculture au plus proche du consommateur, on note une convergence d'intérêts très différents qui se tournent vers cette notion de sourcing local. Plusieurs secteurs, plusieurs populations se rejoignent. C'est le signe d'un retour à l'essentiel qu'on avait peut-être oublié ou négligé et qu'il faut remettre au centre de nos décisions.

Opter pour la préférence locale n'est ce pas limiter la compétitivité ?

La préférence locale ne nous affranchit pas de l'exigence de compétitivité, mais plutôt que de viser une rentabilité à court terme, ayons conscience des performances à long terme qui s'obtiennent collectivement. La préférence locale, ce n'est pas non plus du protectionnisme. L'idée est de dire que quand on fonctionne ensemble et en équipe, on est plus fort collectivement et que cela nous permet de mieux affronter ce monde globalisé et ses marchés très concurrentiels. Ce n'est pas un repli sur soi.

Vous êtes signataire de la charte #EtAprès, initiée par le Comex 40 de l'UPE 06. La charte justement incite à ce sourcing local.

Spada fête ses 100 ans cette année, nous avons toujours eu ce souci d'être impliqué localement, de rendre au territoire une partie de ce qu'on en retire. Le fait de signer la charte, cela permet de le formaliser, de le clamer haut et fort et, nous l'espérons, de faire infuser ces valeurs à l'ensemble des acteurs du territoire. Dans la charte, un des engagements est de soutenir annuellement une association culturelle, cela peut paraître très éloigné de l'activité de l'entreprise, mais en soutenant comme nous le faisons le théâtre d'Antibes Anthéa, nous contribuons à attirer de nouveaux résidents, de nouvelles entreprises, de nouveaux investissements qui seront peut-être nos futurs clients, nos futurs employés.

C'est quoi le monde d'après dans le secteur qui est le votre, le BTP ?

C'est un secteur composé de nombreux acteurs dont beaucoup de TPE et de PME, donc par nature localement implantées et investies dans leur territoire. J'espère que la crise, et l'élan que l'on souhaite apporter avec la charte, vont permettre aux donneurs d'ordres du secteur, quel qu'ils soient, de prendre conscience que cette compétence locale doit être valorisée (c'est une force qui permet d'être résilient face aux crises) et que tout le monde est partie prenante de la pérennité de ces acteurs économiques indispensables. Il faut arriver à préserver cette commande locale, ce qui n'est pas toujours évident dans les marchés publics, où il y a des exigences d'égalité de traitement qui couvrent toute l'Europe, comme dans les marchés privés, où la concurrence est très forte et où les entreprises ont tendance à se battre sur les prix, avec des marges qui s'érodent énormément. On fragilise ainsi les entreprises du secteur au risque de faire dépérir ce tissu économique très riche au local.

Quid d'une nouvelle organisation du travail ?

Déjà, on a démontré qu'on ne pouvait pas couler du béton en télétravail ! Plus sérieusement, on se rend compte qu'on ne peut pas faire vivre une société qu'avec les métiers du service, que les métiers de production en général sont souvent des métiers très manuels, et que ces métiers manuels doivent être reconnus à leur juste valeur. On a beaucoup parlé des caissières, des aides-soignantes, des éboueurs. On s'est rendu compte du besoin auquel répond ces métiers, de leur nécessaire valorisation. C'est aussi vrai pour les ouvriers et artisans du bâtiment. Après, effectivement, le télétravail concerne surtout les fonctions supports. Or, nous sommes un secteur qui n'a pas encore fait sa transformation numérique, par conséquent, beaucoup l'ont vécu comme un choc ou plutôt une grande nouveauté. Il y a eu une petite phase d'adaptation.

Est-ce aux jeunes entrepreneurs de porter ce monde d'après ?

La nouvelle génération d'entrepreneurs doit s'emparer du sujet de la représentativité qui traverse une grave crise. Cela ne concerne pas que la France, ni que les organisations professionnelles. On voit bien le défi de confiance qu'ont les politiques. Le nombre de salariés qui sont syndiqués diminue. Les gilets jaunes aussi. Il y a un grand pan de la société qui a du mal à reconnaître la défense de leur intérêt dans ces organisations traditionnelles. Ce n'est pas forcément de leur faute. Le monde change, la transmission de l'information s'accélère, de plus en plus de personnes veulent s'exprimer directement. Il y a un vrai sujet de démocratie participative et directe, et ce à tous les niveaux de la société. C'est là que la nouvelle génération d'entrepreneurs peut intervenir, en aidant à porter ces préoccupations, en inventant de nouvelles voies. Le rôle des organisations patronales et syndicales est toujours très important, on l'a vu encore dans cette crise, avec tout le travail qui a été fait pour lever la suspension du traitement des permis de construire. Elles ne sont absolument pas caduques ni obsolètes, mais il faut qu'on arrive à les réinventer pour que le plus grand nombre de sociétés s'y retrouve et puisse se les approprier en venant imprimer leur marque.

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Commentaires 3
à écrit le 10/06/2020 à 11:37
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Bien sûr que si ! Un robot et/ou une imprimante 3D reliés à un pc portable et/ou un smartphone, et le tour est joué !! Hop ! Plus besoin d'ouvriers qui gueulent tout le temps, qui puent et qu'il faut payer. Le monde post-covid rêvé des elites macron...

le 10/06/2020 à 17:23
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Je ne pense pas que vous ayez déjà travaillé sur un chantier ….. L'impression 3D est peut être séduisante, mais totalement inadaptée au BTP : - faible cout de la matière première (béton) - pas d'économie d'échelle (chaque projet est différent) - ...

à écrit le 10/06/2020 à 10:53
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"Florent Noiray : "On ne peut pas couler du béton en télétravail" Par contre un bronze,si

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