Sortie de crise : ce qu’en dit l’Institut Montaigne

Par Maëva Gardet-Pizzo  |   |  702  mots
(Crédits : DR)
Laurent Bigorgne, qui dirige l’instiut, liste les exigences qui doivent selon lui accompagner la sortie de crise provoquée par le coronavirus. Il est notamment favorable à un déconfinement graduel et personnalisé, prônant l’usage du tracking. Il affirme également que la crise doit interroger sur la place du digital dans la société et sur la question de la souveraineté européenne en la matière.

Difficile d'imaginer les conséquences de la crise du coronavirus tant elle est inédite. D'un point de vue sanitaire d'abord, de par ses conséquences économiques ensuite. "En 2008, l'effet sur le chômage s'était ressenti plus d'un an après le début de la crise, avec 665 000 chômeurs. Dans la crise actuelle, l'effet est immédiat, avec déjà 6,5 millions de chômeurs", observe Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne. Pourtant, juge-t-il, les "pouvoirs publics, français et européens, ont bien réagi". Et notamment la Banque centrale européenne. "C'était une période de test pour elle. En 2008, elle avait attendu quatre ans pour réagir. Cette fois, il ne lui a fallu qu'une semaine. Elle a ainsi évité la panique financière".

Mais si la gestion au jour le jour est une chose, celle de la sortie de crise en est une autre. Et cela commence par la stratégie de déconfinement. "En Autriche, cela a commencé dès le 14 avril à libérer la population des mesures de confinement, on a réouvert les petits commerces. Les autres magasins ouvriront début mai et les écoles mi-mai. Quant à l'enseignement supérieur, il se fera en ligne jusqu'à la fin d'année. En ce qui concerne les événements sportifs et culturels, il n'y aura rien avant juillet ». Une grande gradualité qui vaut aussi dans le cas italien, le pays devant commencer son déconfinement mi-mai selon des règles sanitaires strictes avec port de masque, distanciation sociale et une capacité hospitalière forte dédiée au covid-19. S'ajoute à cela l'imposition de tests systémiques et le suivi par smartphone.

En France, le déconfinement semble encore assez difficilement envisageable. "Le pic n'est pas passé", affirme Laurent Bigorgne. Quant à l'immunité collective, elle n'est pas encore acquise. "On estime que 15 % de la population a été en contact avec le virus", tandis que le seuil requis pour parler d'une telle immunité est de 40 à 60 %. Reste également en suspens la question des équipements de protection "qui nous manquent aujourd'hui".

Le digital, clé de la sortie de crise

Pour le directeur de l'institut, deux questions doivent en parallèle être posées, « de manière non pas philosophique mais pragmatique ». Alors que 17 millions de personnes sont considérées à risque, "va-t-on accepter de trier et distancier ceux qui ont le droit ou pas de sortie ?". Seconde interrogation : "Va-t-on accepter temporairement que nos données soient utilisées pour vérifier le respect des mesures de confinement et tracer l'épidémie ?" Un sujet épineux en France, alors que des élus de l'opposition mais aussi de la majorité ont exprimé leurs doutes concernant le respect des libertés individuelles. Laurent Bigorgne y est favorable, considérant que le tracking contribuerait à un déconfinement réussi qui permettrait à l'économie de rebondir aussi fortement qu'elle a chuté d'ici fin 2022. A l'inverse, en cas de déconfinement raté, il craint que le rattrapage ne se fasse qu'au bout de cinq à dix ans.

Pour relancer l'économie, les mesures sanitaires sont essentielles. Mais il faut aussi songer à la politique économique. "Il faut que l'État discute avec les grands comptes français » afin que ceux-ci paient leurs fournisseurs, idéalement dans des délais plus courts qu'en temps normal. Au niveau macroéconomique, "il faut favoriser l'investissement au service de l'amélioration de l'outil productif, tout en veillant à ce que la consommation ne soit pas fragilisée par des taxes et impositions".

Surtout, Laurence Birgorgne insiste sur l'importance du digital dans cette crise. "Le télétravail a une place maximale. Tous ceux qui ont digitalisé vont passer au travers de la crise qui est un puissant révélateur de nos retards en la matière". Et de citer l'exemple des hôpitaux : "Les chirurgiens qui ne sont pas mobilisés sur le covid19 peuvent enfin consulter les dossiers de leurs patients depuis leur domicile, ce qui n'était pas possible avant. On voit que beaucoup de barrières tombent. L'Europe va combler une partie de son retard par rapport aux États-Unis et à l'Asie". Ce qui demande de s'équiper en infrastructures digitales, essentielles pour affirmer "une souveraineté européenne plus forte".