Marseille, une métropole mondiale  ?

Bien sûr, elle en rêve. Et elle possède tous les atouts pour devenir un territoire brillant tout autant en Méditerranée qu’à l’international.Pour autant, le plus puissant potentiel n’est pas suffisant. Sans stratégie solide et ciselée, point de salut.
(Crédits : DR)

Un positionnement géographique idéal, un port enfin dynamique et plutôt smart, des grandes entreprises qui agissent comme locomotives, des entrepreneurs qui ne restent pas indifférents aux évolutions du territoire, des startups à foison et, cerise sur le gâteau, un climat clément qui rend le business plus sympathique sous le soleil. Cette carte postale quasi idéale, c'est Aix-Marseille. Première métropole de France par son étendue géographique, riche de territoires variés et de près de 2 millions d'habitants. Une métropole aux dimensions conséquentes, où tout n'est pas rose, avec des contradictions, mais surtout bourrée de potentiel. Une métropole née - administrativement parlant - dans la douleur. Dans les esprits, c'est peut-être un peu plus facile. Ne serait-ce que parce que côté décideurs économiques on sait que l'union c'est toujours mieux pour affronter les défis. Née donc contre vents, marées et querelles politiques, Aix-Marseille Provence est bel et bien existante, jeune encore - deux ans et demi - mais un outil utile et même incontournable pour pousser la fameuse attractivité du territoire. Tous ceux qui foulent le sol de Marseille, épicentre quoi qu'on en dise, dressent le même constat : la cité phocéenne a tout ce qu'il fait pour réussir, sauf... une unité politique ? Une véritable stratégie ? Une vision réellement long-termiste ?

Peut-être un peu de tout cela. Se projeter à l'horizon 2030 donne l'impression de se ­projeter à long terme. Pourtant, douze ans, ce n'est pas si loin. Douze ans, c'est déjà demain. Comment propulser Marseille vers le destin qu'on lui devine ? Si l'on considère que c'est sur ses atouts qu'un territoire doit parier pour prendre de la hauteur et de l'épaisseur, alors la métropole aixo-marseillaise doit accélérer sur les industries créatives, la santé, son urbanisme, sa place sur l'échiquier mondial. À ce propos, interrogé lors d'une conférence La Tribune en début d'année, Michael Amar, entrepreneur et fondateur d'Ifeelgoods, estimait que, pour se placer sur la carte monde, Aix­Marseille aurait tout intérêt à se focaliser sur une filière capable de lui donner une aura mondiale.

Indispensable vision macro

Cela pourrait tout à fait être celle des industries créatives. Production, studios, motion capture, séries et films tournés ici. Tout existe (ou presque) à Marseille. Première terre de tournage après la région parisienne, le territoire a toujours su truster le box-office sur le sujet, depuis Taxi à Marseille. Même Luc Besson, un temps, a trouvé le lieu suffisamment attractif pour envisager un projet pharaonique de complexe cinématographique. Si c'est finalement Pathé qui a repris le projet, cela n'en démontre pas moins que l'attractivité de la filière est assez forte pour générer des investissements. Même Aix-Marseille French Tech y a vu l'intérêt de rapprocher la technologie et les industries créatives. D'abord, parce que cela paraît logique d'apporter de l'innovation là où ça va déjà très vite.

PDG de Black Euphoria, société de production audiovisuelle, et de Dark Euphoria, plutôt versée vers le transmédia, Mathieu Rozières est aussi vice-président chargé de ces sujets au sein du mouvement Aix-Marseille French Tech. Pour lui, l'union de la tech et des industries créatives c'est avant tout une question de service, « la technologie va devoir répondre aux grands enjeux de société », dit-il. C'est, par exemple, permettre l'accès de tous à la culture. Et, à Marseille, le sujet n'est pas anodin.

«Nous voulons nous servir du langage de la tech pour hacker les cerveaux des plus jeunes et leur donner accès à la culture.»

D'où ce contrat-cadre avec le Mucem, le musée des civilisations, et des rencontres régulières prévues avec des institutions culturelles. «L'objectif est de rendre la métropole plus intelligente, plus inclusive pour intéresser des publics nouveaux.»

Sur le sujet des industries créatives, Sabrina Roubache est sans doute celle qui a la vision la plus globale et la plus internationale. Élue à la chambre de commerce et d'industrie précisément pour développer la filière sur le territoire, celle qui a été la productrice exécutive de la première saison de la série ­Marseille pour Netflix a justement lancé des états généraux il y a quelques mois. Objectif : dresser deux audits -dont les résultats seront bientôt révélés- le premier sur la vision de la filière, le second sur l'enjeu chiffré.

«La filière s'est transformée ces vingt-cinqdernières années», dit Sabrina Roubache qui souligne l'importance d'un soutien total du territoire à l'une de ses atouts économique. Et de mettre en avant l'implication de la Mission Cinéma menée par la Ville de Marseille, mais aussi l'importance du doublement du fonds de dotation dédié aux producteurs, acté par la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d'Azur et son président Renaud Muselier. « Les producteurs sont les créateurs de contenu et ce sont eux qui prennent tous les risques. » Terre de tournage un jour, terre de tournage toujours ?

« Marseille restera une terre d'accueil. Sous l'impulsion de tous on commence à voir une agrégation de forces, une synergie qui se crée. Il manquait une cohésion des acteurs de la filière. Or nous sommes audibles lorsque nous sommes forts et nombreux. »

Et de prendre l'exemple de la French Tech, mouvement qui a mis en lumière toute une filière. Un exemple qu'il faudrait peut-être suivre. Car « la filière est au milieu du guet pour ce qui concerne sa structuration. L'Occitanie nous challenge », note Sabrina Roubache. Mais en se projetant à 2030, « Marseille reste la pierre angulaire du territoire » à condition de « fertiliser le terrain » et de comprendre que « concurrents ne veut pas dire ennemis. Un reset des mentalités doit s'opérer. Le monde politique a commencé à le faire, mais il faut une véritable prise de conscience. Il faut une vision macroéconomique. »

L'autre filière qui rend le territoire visible à l'extérieur des frontières régionales, c'est celle de la santé. Forte en thème pour ce qui des biotechs notamment, Marseille est prometteuse. Emilie Royère, directrice générale du pôle de compétitivité Eurobiomed est persuadée du rôle que la filière va jouer dans le futur du territoire. «Dans dixans, nous aurons récolté les fruits du travail mené depuis une décennie. Nous avons travaillé pour créer les fondations nécessaires. Dans dix ans, les nouveaux bâtiments seront livrés à Luminy, nos belles pépites d'aujourd'hui auront atteint une taille conséquente, embauchant des centaines de salariés. J'imagine assez bien le technopôle de Luminy foisonnant de chercheurs, de nouveaux projets qui verraient le jour au nord de la métropole. Mais nous ne serons pas dans un monde uniquement technologique, nous serons aussi dans une ère où l'on aura repoussé des maladies, aujourd'hui létales à court terme.» Et la place de Marseille est essentielle. «Nous sommes le grand hôpital du sud de l'Europe», analyse Emilie Royère.

Transformée depuis une dizaine d'années par son urbanisme, Marseille doit pousser davantage.

« L'enjeu de Marseille est de retravailler son nord et son sud. Il faut mettre un terme aux ruptures urbaines », note Sandrine Bordin, présidente du directoire de Logis Méditerranée.

« D'ici à 2030, outre l'équilibre Nord-Sud, il faut des formes urbaines plus harmonieuses. L'urbanisme doit permettre de recréer des connexions.» D'autant plus que «Marseille est un laboratoire génial, une ville ouverte vers l'Afrique. En termes d'aménagement et d'habitat, il faudra intégrer le digital. Tout est possible si l'on travaille sur les schémas de mobilité». En outre, la «conquête du front de mer doit se poursuivre».

Un avis que partage Jean-Philippe Agresti. « Il faut repenser la configuration des quartiers. Tout détruire et tout reconstruire de façon différente en utilisant une situation géographique exceptionnelle. Cela doit s'accompagner d'une politique plus sociale. » Et de plaider pour un « plan Marshall urbanistique ». Mais aussi pour un centre-ville qui aurait tout intérêt à devenir piéton, gagnant ainsi des points d'attractivité supplémentaire, ne serait-ce qu'au niveau touristique.

Un point de vue partagé par Fabrice Alimi, le président du Club Immobilier Métropole Provence.

Qui voudrait aussi plus de bleu et de vert, « une ville propre, bien éclairée qui serait devenue le leader mondial de l'éolien flottant, qui aurait un grand port lequel aurait dépassé Miami en termes de nombre de croisiéristes. »

Marseille qui aurait dix lignes de métro et non pas seulement deux.

« Il faut que d'ici à 2030, l'équipe municipale et métropolitaine est fait adhérer la population à une sorte de verticalité. »

Enfin, il faudrait que les décideurs politiques aillent voir ce qui se passe ailleurs. Et ce qui vaut pour l'urbanisme vaut pour l'éducation. Jean-Philippe Agresti, doyen de la faculté de droit et de science politique, regrette par exemple qu'Aix-Marseille Université (AMU) ne soit pas mise au cœur du système qui réfléchit à la politique internationale du territoire.

« Il faut un système éducatif de meilleur niveau », pointe pour sa part Marie Masclet de Barbarin, vice-présidente du conseil d'administration de l'AMU, regrettant l'absence d'un lycée international à Marseille et, de ce fait, espérant beaucoup de la Cité scolaire internationale qui doit bientôt voir le jour.

Regrettant aussi que l'AMU - première université de France hors région parisienne - ne soit pas suffisamment perçue comme un facteur d'attractivité, alors que, « à Strasbourg ou Bordeaux, on l'a bien compris ».

« L'étudiant est la première marche de l'escalier du cercle vertueux. On ne peut pas avoir la moindre ambition si on ne s'occupe pas des étudiants », pointe encore Fabrice Alimi, endossant pour le coup sa casquette d'élu consulaire chargé de l'emploi.

Diamant encore trop brut ?

« Marseille est un diamant brut », estime Pascal Lorne, le président d'Aix-Marseille French Tech et entrepreneur installé à Marseille depuis 1998. Marseille, une ville « comparable à San Francisco, avec un centre-ville paupérisé, un port, mais qui, en dix ans, a fait un retour sur la scène économique. Le potentiel de Marseille est latent. Il lui manque une petite étincelle. »

Une étincelle qui devrait provenir, dit le patron de GoJob, du décloisonnement des réseaux.

« Pour se développer économiquement il faut de la fluidité, des talents. D'ici à quinze ans, Marseille devra avoir une élite politique et économique renouvelée, qui travaille main dans la main en liant développement économique et développement politique. Les handicaps sont des atouts. »

Palpable, pas forcément exprimé ainsi par les acteurs économiques mais bel et bien ressenti urbi et orbi comme le résume Jean-Philippe Agresti, « Marseille est à un tournant historique ».

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Commentaire 1
à écrit le 23/03/2019 à 13:18
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"Dix lignes de métro au lieu de deux"? Euh y'a une erreur là ? Et pourquoi pas d'explications et d'idées pour les transports dans cet article? Il y aurait peut-être une troisième ligne entre Le Merlan (14ème) et Bonneveine (8ème) en passant par la Be...

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