SNCM : Fixée sur son sort demain ?

Si le Conseil de surveillance du 25 février est symbolique dans la mesure où les différents actionnaires doivent s?engager sur une lettre d?intention de deux nouveaux navires et d?une option pour deux autres, cheville ouvrière du plan de relance de la société, il ne garantit pour autant pas la survie de la société. Rappel des faits.

Le 25 février, la SNCM sera-t-elle définitivement fixée sur les intentions, à son égard, de ses principaux actionnaires que sont Veolia et la Caisse des dépôts à hauteur de 66 % - via leur société commune Transdev - et l'État avec 25 % (les salariés détiennent également 9 %) ? À l'occasion d'un Conseil de surveillance, prévu demain matin à 9.30 au Parc Chanot de Marseille (ordre du jour adressé à 17 personnes), la direction doit présenter à ses actionnaires les offres des différents chantiers consultés (en lice, le français STX, l'Italien Fincantieri et l'Allemand FSG) dans la perspective de la commande de deux nouveaux navires (entre 140 et 150 M€ l'unité) avec option pour deux unités supplémentaires, pierre angulaire d'un nouveau modèle économique présenté pour la première fois par l'actuelle direction en 2011 et qui depuis n'en finit plus d'être confirmé. Au cours de cette réunion, qui revêt un caractère éminemment symbolique car la direction de l'entreprise et les personnels attendent depuis des mois des signes concrets attestant d'une réelle volonté de sauver l'entreprise, devra aussi être abordée la question du financement.


Conclure ensuite
Si l'engagement est respecté cette fois - mais il ne s'agit que d'une lettre d'intention formulée au constructeur choisi - il faudra ensuite entamer la négociation avec le chantier choisi avant de passer commande. Et ce, conformément à la promesse faite aux salariés par le ministre délégué aux Transports, à la Mer et à la Pêche, Frédéric Cuvillier, à l'issue de la semaine de grève début janvier, mobilisant l'ensemble des organisations syndicales de la SNCM et de la Méridionale alors que les deux compagnies partenaires devaient, à compter du 1er janvier 2014, honorer le nouveau contrat de délégation de service public (d'une durée de 10 ans) de la desserte maritime de la Corse à partir de Marseille, pour lequel elles ont été retenues à l'issue d'un appel d'offres astreint à de nombreuses conditions, dont la fiabilité. Mais c'est précisément pour mettre les actionnaires au pied du mur en réclamant la mise en œuvre de la restructuration (qui comprend quand même la suppression de 515 postes en quatre ans) que les marins ont pris le risque de s'autosaborder. Une petite révolution en soi puisque les organisations syndicales ne demandent pas cette fois de l'argent pour en continuer à en perdre mais pour faire le job en s'alignant sur le plan industriel présenté par la direction !


Pression forte des syndicats en amont
Dans cette perspective, tout au long de la semaine dernière, les organisations syndicales (CGT, CFE-CGC, CFDT, FO) des sections départementales des Bouches-du-Rhône et de Loire-Atlantique, ont maintenu la pression, tout particulièrement sur l'Elysée, Matignon et le ministère du Redressement productif, pour réclamer deux choses : que les velléités de l'État se transforment en engagements concrets sur les commandes de la SNCM mais aussi que la construction des nouveaux navires se fasse en France, et dit ainsi, au sein des chantiers navals français de STX donc (deux en France : Saint-Nazaire et Lorient). Une pression en toute connaissance de cause car du vote de l'État dépendra la décision finale dans la mesure où Veolia et Transdev (rappel : Veolia + Caisse des Dépôts à parité égale) devraient voter "contre toute décision qui engage l'avenir", sauf grande surprise, tandis que les actionnaires salariés (9 %) voteront en sa faveur.


L'État, arbitre in fine
Reste donc le juge de paix : l'État qui, mardi 18 février, ne savait toujours pas ce qu'il allait voter. Ce jour-là, à 18.30, Marc Dufour, le président du directoire, qui en avait formulé le souhait en janvier à l'issue du conflit social, était reçu, et ce pour la première fois, par le Ministre des Transports Frédéric Cuvillier. Au programme : présenter encore et encore le nouveau plan industriel et surtout rappeler l'urgence de la situation. L'entreprise, qui s'est placée en procédure de conciliation auprès du Tribunal de Commerce de Marseille en octobre dernier afin d'éviter une cessation de paiements, a obtenu en décembre dernier 30 M€, de quoi tenir jusqu'à la saison estivale (73 % des trafics annuels, toutes compagnies et modes de transport confondus), laquelle ne risque pas d'être bonne compte tenu de la situation (la saison 2013 s'était soldée pour la SNCM par un recul de 7,2 % soit 802 756 passagers dans un marché en recul de 5 % mais un retrait deux fois plus important que sa rivale Corsica Ferries. Elle y a laissé plus d'un point de PDM avec 23,9 % contre 60,4 pour la concurrente).


Sans nouveaux navires, pas de continuité possible

Pour mettre en œuvre son nouveau schéma d'exploitation, consistant à se positionner sur le segment du transport combiné, la SNCM, qui exploite exclusivement des car-ferries, a besoin d'acquérir des RoPax (navires mixtes : fret et passagers). Marc Dufour milite pour des bateaux propulsés au gaz naturel liquéfié sur lesquels ont planché le bureau d'études finlandais Foreship et le cabinet nantais Stirling Design International (précisément ceux que Brittany Ferries va acquérir, qui au passage, lui a grillé la possibilité de doter la SNCM du premier navire doté d'un système innovant dans l'Hexagone), capables de faire la traversée de jour et pas uniquement de nuit, afin d'assurer deux rotations en 36 heures et ainsi d'améliorer la productivité de 40 %. Une stratégie qui permettrait d'envisager des développements sur la Sardaigne, l'Italie et le Maghreb. Cette restructuration, qui n'est pas sans douleur pour le personnel puisqu'elle est assortie de la suppression de 515 postes, a été approuvée par les organisations syndicales via la signature d'un nouveau pacte social. Pour le président du directoire, l'idée est donc d'obtenir très vite l'accord de commande pour pouvoir réceptionner la première unité au printemps 2016, en attendant la réception de ses sisterships en 2017.


Soupçons de mise en défaillance

Force est de constater que la société est considérée comme un boulet économique et social. Outre sa vulnérabilité financière, elle est en outre acculée par l'Europe à rembourser des aides publiques (2 x 220 M€) indûment perçues. Les soupçons quant à une mise en défaillance programmée qui ne dit pas son nom sont largement relayés localement, à commencer par les élus (de tous bords politiques), qui, pressés par les syndicats ont empoigné, de façon frénétique, ce dossier à haute teneur explosive dans un contexte électoral. Des soupçons qui avaient fini par trouver une verbalisation dans la bouche même de Marc Dufour, qui avait fini par lâcher : "Il existe aujourd'hui une solution pour la SNCM parfaitement viable. Elle existe au niveau économique, mais aussi juridique, mais elle ne peut être mise en œuvre que s'il y a une volonté politique... Il y a beaucoup de reniements dans ce dossier." En clair, le patron du directoire dénonce aujourd'hui le bras de fer entre Veolia et l'État dont sa compagnie fait l'objet.
L'État est soupçonné de jouer la course contre la montre pour des raisons purement électoralistes dans une ville que la gauche rêve d'arracher à la droite. Veolia, qui cherche à se désendetter par tous les moyens pour rassurer ses actionnaires stressés par les chutes vertigineuses des cours de la bourse, ne verrait pas d'un bon œil tout investissement qui pourrait impacter son désendettement (dette ramenée en quatre ans de 16,8 Md€ à 8 Md€). On reproche donc au seul actionnaire privé de gager sur un dénouement opportuniste de la situation.


Changement d'actionnariat, seule garantie

À cet écheveau complexe il faut ajouter l'instabilité de l'actionnariat actuel qui bloque tout dossier de reprise de la SNCM mais la place également en trublion, car elle bloque le règlement d'un autre chantier : la cession des 50 % que détient Veolia Environnement dans le capital de Veolia Transdev (actionnaire donc de la SNCM), sa filiale transports publics détenue à parité avec la Caisse des dépôts. Depuis l'annonce du groupe de se désengager de l'activité transport, le 6 décembre 2011, les manifestations d'intérêt ne se bousculent pas. Certes, l'endettement de Transdev (partie de la dette concernée, celle de Veolia : 900 M€) n'aide pas. Et les 440 M€ que doit la SNCM à l'Europe doivent en effrayer plus d'un. Mais outre les aspects financiers, les points de blocage sont aussi ailleurs. La Caisse des dépôts a posé un certain nombre de conditions sur l'identité du futur partenaire ainsi que sur la gouvernance. Quoi qu'il en soit, le patron de Veolia, Antoine Frérot, a été clair il y a quelques jours à l'occasion d'une présentation partielle des résultats du groupe : "Transdev ne remettra plus d'argent à la SNCM." Le P-d.g de Veolia, dont le mandat parvient à son terme le 24 avril*, joue sa reconduction notamment sur son œuvre d'assainissement.
En attendant, l'Etat, via la Caisse des dépôts, qui pourrait reprendre la SNCM, ne se presse pas non plus pour trancher le nœud gordien tout en étant agacé, dit-on en coulisses, par l'intransigeance du polytechnicien Frérot à l'égard de la SNCM. Pour autant, l'équipe gouvernementale aurait mandaté un groupe de travail chargé d'étudier un financement pour l'acquisition des nouveaux navires via le recours à la Caisse des Dépôts (qui est aussi co-actionnaire de Transdev !) et à la BPI. Encore faut-il que l'État français, déjà sommée de recouvrir 440 M€ auprès de sa filiale pour aides publiques illégalement perçues, ne se retrouve pas à nouveau prise à défaut.

Combler la sortie de Transdev
Quoi qu'il en soit, et ce même si la lettre d'intention est signée, l'avenir de la compagnie maritime marseillaise, à laquelle sont subordonnés quelque 2 000 emplois, est tout sauf garanti. Outre le montage financier à trouver, il faudra régler la dette de 440 M€ à l'égard de l'Europe, et surtout s'activer pour trouver un nouvel actionnaire industriel, comblant la sortie de Transdev. À ce jour, seul Christian Garin, l'ancien président du Port autonome de Marseille, associé au groupe norvégien Siem Industries, a manifesté un intérêt, lequel se porte sur une compagnie avec "quatre navires neufs comprenant un apport de fonds propres de notre part avec un montage financier, à condition que le plan social soit financé par les actionnaires sortants, que les pertes de 2013 des deux années suivantes (soit un total estimé par ses soins à 140 M€ NDLR), c'est-à-dire avant l'introduction des nouveaux navires, soient couvertes" et que les différends avec l'Europe soient réglés. Une offre que Veolia aurait refusé selon Christian Garin.

A.D

* Selon le Point, Dassault, deuxième actionnaire de Veolia, aurait demandé son éviction et son remplacement par David Azéma, actuel DG de l'Agence des participations de l'État

Photo : Marc Dufour, président du directoire de la SNCM



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