Le Medef promet le grand soir

En différé d?une heure par rapport à la présentation de Pierre Gattaz depuis l'auditorium du Medef à Paris, le président du Medef régional, Jean-Luc Monteil, et son homologue du département des Bouches-du-Rhône, Jean-Luc Chauvin, ont détaillé dans les locaux de l?UPE 13 à Marseille le fameux petit livre jaune qui doit enrayer le déclin. Au programme : changement de logiciel pour un système qui bug. Certains diagnostics méritent de la prudence.


Les dernières propositions du Medef pour sortir le pays de la spirale économique infernale ne seront pas de nature à assainir le climat social alors que plusieurs études comparatives menées dans plus de 60 pays convergent pour dire que le mal français n'est pas là où l'on présume : bureaucratie trop lourde, code du travail trop rigide, fiscalité trop complexe ... mais ailleurs : dans la dégradation des relations sociales, qui coûterait chaque année plus d'un point de croissance.


Pronostic vital engagé

Peu importe, le Medef sous l'ère Gattaz, qui s'est positionné dès le départ dans une posture d'audace (stimulante ?), estime que le système français bug ("On est en panne et cela génère de l'insécurité, de la précarité et du chômage", dixit le président du Medef régional Jean-Luc Monteil), que le pronostic vital du pays est engagé ("Le taux de marge des entreprises est le plus faible d'Europe et a atteint son plus bas depuis 1985" , alerte Jean-Luc Chauvin, président de l'UPE 13), et que les dernières mesures obtenues du gouvernement ne constituent pas un remède ("Le pacte de responsabilité mettra des années à produire ses effets", affirme Pierre Gattaz, le président du Medef).

400 000 offres non pourvues
Au chevet de ce grand corps malade en mode échec, les représentants des entreprises proposent un nouveau schéma qui promet "un million d'emplois" nets en cinq ans, avec pour horizon : retrouver le plein emploi (soit un chômage sous la barre des 7 %).
Quant à la crédibilité de cette estimation, Jean-Luc Chauvin, président de l'UPE 13, rétorque qu'il s'appuie sur le croisement de plusieurs études dont celle confiée au cabinet McKinsey, rendue publique en avril 2014. Mais pour le chef d'entreprise, le débat n'est pas là : "Peu importe le débat de chiffres. Cela fait 40 ans que l'on écoute ici et là. On sait déjà qu'il y a 400 000 offres d'emplois que l'on ne parvient pas à pourvoir et qu'il y a 3 millions de chômeurs et deux millions inemployables. Depuis 30 ans, notre pays a privilégié un traitement social du chômage. C'est une stratégie insuffisante pour réduire le chômage et contraire à la dynamique de création d'emplois."

Comment relancer la dynamique de création d'emplois en France ?
C'est précisément le sous-titre du petit livret jaune, qui propose d'engager des réformes structurelles en direction de quatre axes : le marché du travail ; la création d'emplois (dans 9 grands secteurs) ; la compétitivité coût des entreprises (passant au scanner le coût du travail, de la fiscalité, de l'énergie, et d'un euro trop fort ; et enfin, l'investissement. Pour chaque axe, des leviers d'action identifiés, chacun étayé par le triptyque : constat, conséquences, solutions, et quantifié en termes de créations d'emplois attendues. Voilà pour la méthode.

Rien de très nouveau
Nulle surprise dans les solutions émises pour faire sauter les verrous. Au programme : simplification du code du travail et des normes, suppression de jours fériés, ouverture des commerces le dimanche, suppression des seuils sociaux qui empoisonnent le quotidien des entreprises (alors que la négociation interprofessionnelle doit débuter à la fin du mois), contrat de projet de droit commun (sur le modèle du contrat de chantier existant dans le BTP), dérogations à la durée légale du travail et au salaire minimum...


Le temps de travail responsable du chômage ?

Si le chômage atteint des sommets, est-ce une conséquence de la durée du travail ? Le Medef prétend que "la durée effective de travail des salariés à temps plein (1661 h) est une des plus faibles d'Europe." Faux, analyse la Dares. Pour les salariés à temps complet, elle est en France l'une des plus faibles dans l'UE à 15 pays (39,5 contre 40,3 heures en moyenne). Or elle est l'une des plus élevées pour les salariés à temps partiel. Ainsi, pour l'ensemble des salariés, la durée habituelle hebdomadaire en France est supérieure à celle de l'UE (36,6 contre 35,6 heures).

La rigidité du travail est-elle réelle ?
Si les entreprises n'embauchent pas, est-ce à cause de la rigidité du travail ? Avant la crise, en 2007, il y avait 3,099 millions de chômeurs. En août 2014, ils étaient 5,078 millions (catégorie ABC). Le code du travail s'est-il rigidifié entre temps ? A t-on crée de nouveaux jours fériés ? Aussi, cette question paraît incongrue ces dernières années au regard des taux d'utilisation des capacités de production et des carnets de commande peu remplis.


Revoir les seuils créerait entre 50 000 et 100 000 emplois en 3 ans
"Répondre aux obligations de changements de seuils peut représenter jusqu'à 480 000 euros de charges supplémentaires. On compte 16 seuils sociaux différents pour les entreprises entre 100 et 1 000 salariés. De 49 à 50 salariés, la Revue fiduciaire relève 27 nouvelles obligations et formalités à accomplir. Est-il nécessaire d'avoir 4 délégués du personnel, 5 délégués au comité d'entreprise et autant de suppléants dans une PME de 100 salariés. C'est coûteux, paralysant et n'incite pas à l'embauche. Si toutes ces commissions sont utiles, pourquoi ne pas les fusionner", s'emporte Jean-Luc Chauvin, qui a du passer ses vacances en Italie, modèle qu'il cite dans chacune de ses interventions. Mais en Italie, les seuils existent aussi dès le 19e salarié et en Allemagne, dès le 5e.

Flexibilité : un remède ?
Les patrons plébiscitent le contrat de projet pour avoir plus de souplesse. Or, sans croissance économique, il s'est signé l'an dernier 22 millions de contrats dont les deux tiers étaient des CDD de moins d'un mois. En dix ans, ce nombre est passé de 1,8 à 3,7 millions. Dans le même temps, les CDI et les CDD de plus d'un mois sont restés stables, entre 700 000 et 1 million. Chaque mois, ce sont les CDD qui représentent le gros des bataillons de nouveaux chômeurs : plus de 25 % des nouveaux inscrits à Pôle emploi sortent d'un CDD, contre moins de 3 % d'un CDI. La vraie question ne serait-elle pas d'autoriser des CDD renouvelables sur un temps plus long comme cela se fait dans la fonction publique (deux fois des CDD de trois ans) ?

Le débat est ouvert
Le Medef n'est pas sans savoir que certaines de ses propositions - perçues comme agressives - n'ont aucune chance d'être retenues. "On n'a pas la parole sacrée. On a besoin de tout le monde pour en parler. La vraie question est : accepte-t-on de changer de modèle ?", lance Jean-Luc Chauvin. Pour échanger, proposer ou débattre, un site Internet (www.1milliondemplois.fr) a été créé. Le Medef lancera fin septembre un appel à projet national en direction de ses 750 000 adhérents ainsi qu'auprès des partenaires économiques et sociaux pour faire remonter des initiatives exemplaires sur les territoires en faveur de l'emploi.


A.D

Photo : Le Medef se penche au chevet du grand corps malade qu'est la France. Un mérite : mettre sur la table des questions taboues en France depuis des décennies.


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