Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes : "La séparation des banques va dans le sens de l'histoire"

Rapporteure du projet de loi Moscovici sur la séparation et la régulation bancaire, Karine Berger, député socialiste des Hautes-Alpes et économiste de formation, a la tâche difficile de trouver un équilibre entre la promesse du candidat, la volonté de la gauche de mettre au pas la finance et la défense acharnée du lobby bancaire.

 Rapporteure du projet de loi Moscovici sur la séparation et la régulation bancaire, Karine Berger, député socialiste des Hautes-Alpes et économiste de formation, a la tâche difficile de trouver un équilibre entre la promesse du candidat, la volonté de la gauche de mettre au pas la finance et la défense acharnée du lobby bancaire.


 Les détracteurs du projet français de réforme bancaire le jugent "trop mou", notamment en comparaison du rapport Liikanen commandé par la Commission européenne. Que leur répondez-vous ?
KARINE BERGER : Le projet de loi français s'inscrit totalement dans l'esprit du rapport Liikanen. Car il crée l'outil que Liikanen recommande. La seule différence porte sur la tenue de marché [qui permet de maintenir une liquidité élevée sur les marchés, ndlr], que le rapport Liikanen recommande de filialiser avec les activités les plus risquées, alors que, dans le projet français, il s'agit de la seule activité pour compte propre qui est laissée au sein de la maison mère.


Allez-vous camper sur cette position ou filialiser la tenue de marché ?
K.B. : L'écrasante majorité de l'activité de tenue de marché est probablement utile au financement de l'économie. Cela dit, plus une banque dispose de stocks pour assurer la liquidité des marchés, plus elle est tentée de les utiliser pour dégager ses propres bénéfices. Faut-il donc mettre la tenue de marché dans la filiale? Il y a des "pour" et des "contre". D'un côté, tout le monde nous dit qu'il est impossible de séparer, au sein de cette activité, ce qui relève de la spéculation de ce qui relève de la gestion de la liquidité. D'un autre côté, le maintien de la tenue de marché dans la maison mère ne permet pas de s'assurer qu'on a bien délimité le périmètre des activités spéculatives d'une banque.


Quelle est la solution ?
K.B. : Nous allons travailler avec le gouvernement sur une meilleure définition de l'activité de tenue de marché. Et, puisque la problématique est celle du risque systémique, c'est-à-dire du danger que fait courir le poids d'une banque sur l'ensemble de l'économie, l'hypothèse de prendre en compte le poids de la tenue de marché dans la banque - pour imposer, ou non, sa filialisation - pourrait être explorée.


Le projet de loi va donc évoluer ?
K.B. : Il faut démontrer que cet outil est suffisamment souple. Si nécessaire, il sera possible de passer devant le Parlement pour ajouter des activités au sein de la filiale regroupant les activités spéculatives d'une banque. La loi devra donc intégrer un principe d'évolution de la dureté de la réglementation. Cette mécanique très pragmatique est vraiment similaire à celle imaginée par Liikanen. La loi française sera la première au monde à mettre en œuvre une réforme structurelle des banques, qui permettra d'agir a priori et non de faire un constat d'échec a posteriori, contrairement à ce qui s'est passé lors de la crise financière de 2008. De toutes façons, la séparation des banques va dans le sens de l'histoire.

Reste que la filiale devant se financer toute seule, donc à des taux plus élevés, les banques redoutent une baisse de leur rentabilité. Mais c'est cela, le vrai prix, celui qui n'intègre pas la garantie implicite de l'État, laquelle représente pas moins de trois crans dans la note de solvabilité d'une banque! Ne pas payer le vrai prix pour faire son business, c'est ça, l'aléa moral !


Quid de la présence des banques dans les paradis fiscaux, un autre sujet que le projet de loi n'aborde pas ?
K.B. : Il sera finalement demandé aux banques de faire preuve de transparence, en ce qui concerne l'activité de filiales basées dans un certain nombre de pays. Ce principe est acté.


Le lobby bancaire n'est donc pas si puissant ?
Les banques sont puissantes mais le pouvoir politique peut l'être encore plus, c'est de son entière responsabilité. Il n'existe pas d'interdit à la régulation du monde financier. Il n'existe pas de lobby bancaire auquel le pouvoir politique ne pourrait pas répondre. Il n'en demeure pas moins que le lobby bancaire est extrêmement puissant. Et ce, parce qu'il a une influence immédiate et concrète sur le sujet si important de l'économie et de l'emploi. Il est extrêmement difficile de réguler des gens auxquels vous demandez de l'argent le lendemain matin. La première raison pour laquelle nous devons réduire la dette publique, c'est pour ne plus être dépendants de ceux que nous voulons réguler.


La semaine dernière, les Pays-Bas ont nationalisé la banque en difficulté SNS Reaal, et exproprié ses actionnaires sans indemnisation. Est-ce là un bon modèle de résolution des crises des établissements bancaires ?
K.B. : Le projet de loi français prévoit qu'en cas de faillite d'une banque, un certain nombre de créanciers - dont les actionnaires - ne seront pas remboursés. Il s'agit là d'un mécanisme de "bail-in". La priorité est de protéger les dépôts des clients.

Le "too big to fail" est-il trop gros pour exister ?
K.B. : C'est la vraie question posée par la crise de 2008. Nous commençons à y répondre, avec les différents projets de séparation des activités bancaires en Europe, et aux États-Unis. Mais c'est la réglementation dite de Bâle III, relative au renforcement des fonds propres des banques, qui y répond le mieux. Car, avec Bâle III, les banques ont compris que, si elles voulaient grossir, cela allait leur coûter très cher.


Propos recueillis par Ivan Best, Christine Lejoux et Philippe Mabille

Pour La Tribune Hebdo du vendredi 8 février 2013

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